LégiMonaco - Cour d'appel - Monsieur j-p. CA/c/ Madame la. WE. en présence du Ministère public
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Cour d'appel

Monaco

18 juin 2018

Monsieur j-p. CA

c/ Madame la. WE. en présence du Ministère public

Contentieux Judiciaire

Abstract

             
  Conventions internationales - Convention de La Haye du 19 octobre 1996 - Compétence des autorités judiciaires - Intérêt supérieur de l'enfant - Critères de rattachement

Résumé

En application de l'article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, l'autorité judiciaire compétente peut, selon l'article 8 de cette convention, lorsqu'elle considère que l'autorité d'un autre État contractant serait mieux à même d'apprécier dans un cas particulier l'intérêt supérieur de l'enfant, soit demander à cette autorité d'accepter sa compétence pour prendre les mesures de protection qu'elle estimera nécessaires, soit surseoir à statuer et inviter les parties à saisir d'une telle demande l'autorité de cet autre État. L'article 8 de la convention précise les critères de rattachement que l'enfant doit présenter avec l'État dont l'autorité judiciaire est ainsi saisie ou requise.

En l'espèce, l'appelant j-p. CA. critique l'ordonnance qui a invité les parties à saisir la juridiction française, en ce qu'elle n'a tenu compte que des critères de rattachement énoncés par l'article 8 de la convention, alors qu'il considère que la compétence de cette juridiction n'est pas justifiée au regard des intérêts de l'enfant.

Il convient de souligner que, d'une part, ces critères de rattachement permettent de déterminer l'État contractant avec lequel l'enfant a les liens les plus étroits, le juge de cet État étant alors le mieux à même de se prononcer dans l'intérêt supérieur de l'enfant. En effet, en l'espèce, le juge tutélaire a tenu compte de la nationalité française de l'enfant, de son père et de sa mère, du lieu de résidence de l'enfant situé en France, depuis sa naissance, sa résidence à mi-temps en Principauté n'étant intervenue que récemment depuis l'installation de son père à Monaco ; de sa scolarisation en France, adaptée à ses difficultés d'apprentissage, de son suivi en orthophonie en France ; des décisions rendues par les juridictions françaises en 2016 et 2017 qui se sont prononcées sur l'exercice de l'autorité parentale, sur ses modalités d'exercice et la résidence habituelle des enfants et la part contributive des parents à leur entretien et à leur éducation; et du lieu de résidence en France de sa mère et de sa sœur.

Il convient également de retenir que le juge français est seul compétent pour se prononcer sur les mesures concernant la sœur de l'enfant l, en raison de son lieu de résidence habituelle unique.

Et d'autre part, il est justifié par les pièces produites qu'un bilan de l'enfant l a déjà été effectué en France, et qu'en raison du diagnostic posé de dyslexie, un suivi médical et un suivi scolaire ont été mis en place, lesquels doivent se poursuivre à son entrée au collège, les bilans orthophoniques démontrant une constante progression de l'enfant.

Ainsi, dans ces conditions, il n'est pas établi que l'intérêt de l'enfant impose qu'une décision soit rendue par un juge monégasque au motif qu'il serait plus apte à déterminer le programme d'accompagnement proposé par la Principauté, à mettre en place dans l'intérêt de l'enfant l.

De plus, l'intérêt de l'enfant ne réside pas davantage dans le bref délai permettant au juge tutélaire de statuer, ce que l'engorgement des juridictions françaises rendrait impossible, alors qu'il est justifié que la saisine du juge des affaires familiales à la requête de l'intimée la. WE, par délivrance d'une assignation en la forme des référés est en cours, laquelle pourrait aboutir à une décision rapide.

Par ailleurs, le bénéfice des articles 11 et 12 de la convention n'est pas sollicité, aucune circonstance de nature à caractériser l'urgence n'étant invoquée.

Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer l'ordonnance en date du 11 mai 2018 qui, retenant que le juge français est le mieux à même d'apprécier l'intérêt supérieur de l'enfant l, a ordonné le sursis à statuer sur les demandes de l'appelant j-p. CA et invité les parties à saisir la juridiction française compétente, sans qu'il y ait lieu en l'état de se prononcer sur les autres demandes qu'elles forment.

Chambre du conseil sur appel d'une ordonnance du Juge tutélaire

La Cour,

La Chambre du conseil statue après débats à l'audience du 7 juin 2018 sur l'appel formé par j-p. CA., suivant acte de greffe en date du 18 mai 2018, dans une instance concernant l'enfant mineure l. CA.

Considérant les faits suivants :

De l'union libre entre j-p. CA. et la. WE. sont issues deux enfants, dont l., née le 10 juillet 2007 à Nice (Alpes Maritimes).

Saisi à la requête de la. WE., le Juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Nice, par jugement du 24 mars 2016 a provisoirement fixé la résidence de l. en alternance chez chacun des parents, et a ordonné avant-dire-droit une mesure d'expertise psychologique familiale.

L'expert a déposé son rapport le 2 novembre 2016.

Puis par jugement du 13 février 2017, la résidence de l. a été fixée en alternance chez chacun des parents, la mère ayant son domicile à Nice et le père à Monaco.

Par requête en date du 6 avril 2018, j-p. CA. a saisi le Juge tutélaire, demandant :

- à être autorisé à faire réaliser à l. les « bilans coordonnées » du CATTP,

- à être autorisé à inscrire l'enfant dans un établissement de la Principauté afin qu'elle puisse y suivre un programme scolaire spécialement conçu pour elle,

- l'instauration d'une mesure d'assistance éducative.

La requête fondée sur les articles 317 et suivants du Code civil , et sur l'article 330 du même Code, a donné lieu à l'ouverture de deux procédures distinctes.

L'affaire a été fixée à l'audience du 17 avril 2018, date à laquelle l. étant présente a été entendue seule par le Juge tutélaire.

la demande de la. WE., l'affaire a fait l'objet d'un renvoi au 8 mai 2018.

cette date la. WE. a soulevé in limine litis l'incompétence de la juridiction monégasque pour les mêmes motifs que ceux invoqués par le Ministère public dans ses réquisitions du 10 avril 2018, se référant aux dispositions de l'article 8 de la Convention de la Haye du 19 octobre 1996, lequel prévoit la désignation de la juridiction du pays avec lequel l'enfant concerné a le lien le plus étroit, soit en l'espèce la France.

Par ordonnance du 11 mai 2018 , le Juge tutélaire, sur le fondement des articles 5 et 8 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, a :

- dit surseoir à statuer sur les demandes formées par j-p. CA. dans sa requête du 6 avril 2018,

- invité la partie la plus diligente à saisir la juridiction française compétente et à lui faire parvenir copie de la décision qui sera rendue par celle-ci.

Pour statuer ainsi, le Juge tutélaire a retenu que :

- la résidence habituelle de l'enfant l. a, par décision exécutoire, été fixée en alternance chez chacun de ses parents, et elle a ainsi deux résidences habituelles,

- le Juge français et le Juge monégasque sont concurremment compétents pour connaître des demandes formées par j-p. CA., en application de la convention de La Haye du 19 octobre 1996,

- aucune disposition de la convention ne retient le critère de la juridiction saisie en premier,

- cette convention prévoit en revanche que l'autorité de l'État contractant compétente peut surseoir à statuer et inviter les parties à saisir l'autorité d'un autre État contractant, dès lors qu'elle considère que l'autorité de cet autre État serait mieux à même d'apprécier dans un cas particulier l'intérêt supérieur de l'enfant,

- la France est, au sens de l'article 8 de la convention, l'État contractant avec lequel la mineure a les liens les plus étroits et le Juge français est l'autorité la mieux à même d'apprécier l'intérêt supérieur de l'enfant l.,

- la saisine en référé par la partie la plus diligente, du Juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Nice, et le cas échéant, la saisine du Juge des enfants, sont parfaitement adaptées au traitement du litige, l. n'étant pas en danger dans sa sécurité, sa santé ou sa moralité.

j-p. CA. a interjeté appel de l'ordonnance par déclaration au greffe de la Cour d'appel, le 18 mai 2018. Par conclusions déposées au greffe de la Cour le 30 mai 2018, il demande de :

- confirmer l' ordonnance du 11 mai 2018 , en ce qu'elle a reconnu que le Juge français et le Juge monégasque étaient concurremment compétents pour connaître de la demande formulée par Monsieur CA. en vertu de l'article 5 de la convention de La Haye du 19 octobre 1996,

- réformer l'ordonnance en ce qu'elle a, en vertu de l'article 8 de la convention, sursis à statuer sur les demandes formées par Monsieur CA., et invité la partie la plus diligente à saisir la juridiction française compétente et faire parvenir copie de la décision rendue,

- dire et juger qu'il est dans l'intérêt supérieur de l. que le Juge tutélaire monégasque connaisse des demandes au fond formulées par Monsieur CA.,

- renvoyer la cause et les parties à conclure au fond,

- condamner Madame WE. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Il fait valoir que le Juge tutélaire monégasque est le plus à même, dans l'intérêt supérieur de l., à connaître du litige, car il est familier des programmes d'accompagnement et de soutien scolaire et psychologique mis en place par le Gouvernement monégasque, et qu'il est de l'intérêt de l'enfant qu'une décision soit prise dans des délais raisonnables, ce que les juridictions françaises ne sont pas à même d'assurer, en raison de leur engorgement, alors que la juridiction monégasque est déjà saisie et sensibilisée à l'affaire ; le fait que l. ait les liens les plus étroits avec la France ne justifie pas que le Tribunal français soit plus à même, dans son intérêt, à connaître des demandes formulées au fond par Monsieur CA.

la. WE. a déposé des conclusions au greffe de la Cour d'appel, le 6 juin 2018, demandant à la Chambre du conseil de :

- confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

- se déclarer incompétent pour connaître de l'intégralité des demandes formulées par Monsieur CA. dans le cadre de la présente procédure au profit des juridictions françaises,

- débouter Monsieur CA. du surplus de ses demandes,

- prendre acte de ce que par assignation en la forme des référés en date du 31 mai 2018, elle a saisi le Juge aux affaires familiales français aux fins de modification de l'exercice de l'autorité parentale sur sa fille, l. CA.,

- condamner Monsieur CA. aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur sous sa due affirmation.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

- la résidence habituelle de l. est parfaitement établie, et se trouve à la fois au domicile maternel à Nice et au domicile paternel à Monaco,

- l'article 6 de la Convention de la Haye du 19 octobre 1996 doit être écarté au profit de l'article 5 de ladite Convention,

- la France est au sens de l'article 8 de la convention l'État contractant avec lequel la mineure a les liens les plus étroits et le Juge français est l'autorité la mieux à même d'apprécier l'intérêt supérieur de l'enfant l.,

- l. bénéficie en France depuis plusieurs années d'un suivi médical et scolaire spécialisé et parfaitement adapté aux troubles dont elle souffre,

- elle a déjà fait l'objet d'un bilan en France et diagnostiquée dyslexique,

- elle est en constante progression,

- il contreviendrait gravement à ses intérêts de la déraciner avant le terme de son 3e cycle,

- son père refuse d'accompagner sa fille à ses séances hebdomadaires chez l'orthophoniste, de se charger du suivi de ses devoirs à la maison, et est responsable de ses nombreuses absences à l'école lorsqu'elle réside chez lui,

- le plan d'accompagnement personnalisé dont bénéficie l. sera reconduit au Collège Port Lympia,

- la demande d'ouverture d'une mesure d'assistance éducative n'est pas justifiée,

- si l. était scolarisée à Monaco, cela reviendrait à la priver de sa mère,

- aucune circonstance de nature à caractériser l'urgence de la situation ne commande de faire application des articles 11 et 12 de la convention.

l'audience de la Chambre du conseil du 7 juin 2018, les parties ont repris et développé les moyens contenus dans leurs écritures et le Ministère public a requis la confirmation de l'ordonnance.

SUR CE,

Attendu que la recevabilité de l'appel interjeté dans les formes et délais prescrits n'est pas contestée ;

Attendu que l'ordonnance n'est pas critiquée en ce qu'elle a retenu que la résidence de l. ayant été fixée par décision judiciaire, en alternance chez chacun de ses parents, était parfaitement établie, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de faire application des dispositions de l'article 6 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 ;

Que l'article 5 de ladite convention pose le principe de la compétence des autorités judiciaires de l'État contractant de la résidence habituelle de l'enfant pour prendre les mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens ;

Que la résidence habituelle de l. ayant été fixée à la fois au domicile de sa mère à Nice et au domicile de son père à Monaco, le Juge tutélaire, faisant une juste application de l'article 5 de la convention, a retenu que les juridictions monégasques et françaises étaient concurremment compétentes pour connaître des demandes de j-p. CA., ce qu'aucune des parties ne critiquent ;

Attendu que l'autorité judiciaire compétente en application de l'article 5 de la convention, peut, selon l'article 8 de cette convention, lorsqu'elle considère que l'autorité d'un autre État contractant serait mieux à même d'apprécier dans un cas particulier l'intérêt supérieur de l'enfant, soit demander à cette autorité d'accepter sa compétence pour prendre les mesures de protection qu'elle estimera nécessaires, soit surseoir à statuer et inviter les parties à saisir d'une telle demande l'autorité de cet autre État ;

Que l'article 8 précise les critères de rattachement que l'enfant doit présenter avec l'État dont l'autorité judiciaire est ainsi saisie ou requise ;

Attendu que j-p. CA. critique l'ordonnance qui a invité les parties à saisir la juridiction française, en ce qu'elle n'a tenu compte que des critères de rattachement énoncés par l'article 8 de la convention, alors qu'il considère que la compétence de cette juridiction n'est pas justifiée au regard des intérêts de l'enfant ;

Mais attendu que d'une part ces critères de rattachement permettent de déterminer l'État contractant avec lequel l'enfant a les liens les plus étroits, le Juge de cet État étant alors le mieux à même de se prononcer dans l'intérêt supérieur de l'enfant ;

Qu'en l'espèce, le Juge tutélaire a tenu compte :

- de la nationalité française de l'enfant, de son père et de sa mère,

- du lieu de résidence de l'enfant situé en France, depuis sa naissance, sa résidence à mi-temps en Principauté n'étant intervenue que récemment depuis l'installation de son père à Monaco,

- de sa scolarisation en France, adaptée à ses difficultés d'apprentissage,

- de son suivi en orthophonie en France,

- des décisions rendues par les juridictions françaises en 2016 et 2017 qui se sont prononcées sur l'exercice de l'autorité parentale, sur ses modalités d'exercice et la résidence habituelle des enfants et la part contributive des parents à leur entretien et à leur éducation,

- du lieu de résidence en France de sa mère et de sa sœur.

Qu'il convient également de retenir que le Juge français est seul compétent pour se prononcer sur les mesures concernant la sœur de l., en raison de son lieu de résidence habituelle unique ;

Attendu que d'autre part il est justifié par les pièces produites qu'un bilan de l. a déjà été effectué en France, et qu'en raison du diagnostic posé de dyslexie, un suivi médical et un suivi scolaire ont été mis en place, lesquels doivent se poursuivre à son entrée au collège, les bilans orthophoniques démontrant une constante progression de l'enfant ;

Que dans ces conditions, il n'est pas établi que l'intérêt de l'enfant impose qu'une décision soit rendue par un Juge monégasque au motif qu'il serait plus apte à déterminer le programme d'accompagnement proposé par la Principauté, à mettre en place dans l'intérêt de l. ;

Que l'intérêt de l'enfant ne réside pas davantage dans le bref délai permettant au Juge tutélaire de statuer, ce que l'engorgement des juridictions françaises rendrait impossible, alors qu'il est justifié que la saisine du Juge des affaires familiales à la requête de la. WE., par délivrance d'une assignation en la forme des référés est en cours, laquelle pourrait aboutir à une décision rapide ;

Qu'au demeurant le bénéfice des articles 11 et 12 de la convention n'est pas sollicité, aucune circonstance de nature à caractériser l'urgence n'étant invoquée ;

Attendu que dans ces conditions, il y a lieu de confirmer l'ordonnance en date du 11 mai 2018 qui, retenant que le Juge français est le mieux à même d'apprécier l'intérêt supérieur de l'enfant l., a ordonné le sursis à statuer sur les demandes de j-p. CA. et invité les parties à saisir la juridiction française compétente, sans qu'il y ait lieu en l'état de se prononcer sur les autres demandes qu'elles forment ;

Que j-p. CA. qui succombe en son appel sera condamné aux dépens de la présente procédure, distraits au profit de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant en Chambre du Conseil,

Reçoit j-p. CA. en son appel,

L'en déboute,

Confirme l'ordonnance du Juge tutélaire du 11 mai 2018,

Condamne j-p. CA. aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur sous sa due affirmation.


Contentieux Judiciaire