c/ FE.AND CO S.A.M. , a. FE. et m. PI. épouse FE.
L'entraide internationale, qui vise à fournir au pays requérant une assistance en matière judiciaire, doit demeurer compatible avec le droit interne du pays requis et respecter les formes prévues par sa législation.
Au regard du droit interne monégasque, en matière d'entraide judiciaire internationale, le juge d'instruction n'exécute que les commissions rogatoires émanant de ses homologues étrangers, eux-mêmes saisis d'une information judiciaire.
En l'espèce, le Procureur général de Monaco a été destinataire, le 23 avril 2018, puis à nouveau le 5 juillet 2018, d'une demande d'entraide judiciaire émanant du Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Grasse, improprement qualifiée de « commission rogatoire », dès lors qu'elle n'émane pas d'un juge d'instruction de l'État requérant, régulièrement saisi d'une information judiciaire.
Le juge d'instruction de la Principauté, qui, en matière d'entraide pénale internationale, ne peut exécuter que des commissions rogatoires délivrées à l'occasion d'informations ouvertes à l'étranger, ne peut, même sur les réquisitions du Ministère public, exécuter une demande d'entraide émanant d'un parquet étranger.
Cependant, et même à le supposer exact, le moyen soutenu par le Procureur général, selon lequel il ne pourrait faire réaliser une perquisition hors les cas de flagrance, est sans incidence sur l'application au cas d'espèce de l'
article 204 du Code de procédure pénale
. Il en est de même du moyen selon lequel il ne peut, en l'état du droit positif, requérir directement les services fiscaux monégasques afin d'obtenir notamment des déclarations fiscales.
En effet, le droit du for ne contient pas de dispositions équivalentes à celles contenues dans l'
article 694-2 alinéa 2 du Code de procédure pénale
français aux termes desquelles les demandes d'entraide émanant des autorités judiciaires étrangères sont exécutées par le juge d'instruction, ou par des officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire de ce magistrat, lorsqu'elles nécessitent certains actes de procédure qui ne peuvent être ordonnés ou exécutés qu'au cours d'une instruction préparatoire.
En l'espèce, l'exécution, par le juge d'instruction, de la demande d'entraide litigieuse aurait non seulement contrevenu au droit interne monégasque, mais également d'une part, à la Convention franco-monégasque d'entraide judiciaire en matière pénale du 8 novembre 2005, qui pose, comme principe, la compatibilité de la mesure d'assistance au droit interne du pays requis, et d'autre part à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, qui renvoie expressément aux formes prévues par la législation du pays requis.
En l'espèce, le juge d'instruction, qui n'avait aucune compétence juridictionnelle, ne pouvait pas rendre d'ordonnance.
Ainsi, au regard de l'ensemble des éléments ci-dessus, le courrier dont appel, adressé le 8 août 2018 par le juge d'instruction au Procureur général, par lequel ce magistrat a fait retour des pièces à lui transmises « pour meilleure appréciation », ne s'analyse pas en une décision juridictionnelle et n'est pas, de ce fait, susceptible d'appel.
En conséquence, l'appel relevé par le Procureur général le 8 août 2018, sera déclaré irrecevable.
Chambre du Conseil
La Cour,
Après débats à l'audience du 15 novembre 2018 et en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant les faits suivants :
Le 23 avril 2018, le Procureur de la république près le Tribunal de grande instance de Grasse adressait au Procureur général de Monaco, sur le fondement de la
Convention franco-monégasque du 8 novembre 2005
, une demande d'investigations à l'occasion d'une enquête préliminaire du chef de travail dissimulé aggravé.
Le 5 juillet 2018, le Procureur de la république près le Tribunal de grande instance de Grasse adressait à nouveau cette demande d'entraide au Procureur général de Monaco en raison de « l'absence de localisation » de la demande précédemment transmise.
Le 24 juillet 2018, le Procureur général adressait au Président du Tribunal de première instance une requête en vue de désigner le juge d'instruction chargé d'assurer l'exécution de la demande d'entraide internationale.
Le 24 juillet 2018, le Président du Tribunal de première instance désignait le juge d'instruction.
Le 30 juillet 2018, le Procureur général de Monaco requérait ce magistrat aux fins d'exécution de la demande d'entraide, sur le fondement de la Convention Européenne d'Entraide Judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, de la Convention franco-monégasque d'entraide judiciaire en matière pénale du 8 novembre 2005 et de l'
article 204 du Code de procédure pénale
.
Le 30 juillet 2018, le juge d'instruction adressait au Procureur général un soit-transmis ainsi libellé :
Je fais suite aux réquisitions de ce jour dans le cadre de la demande d'entraide pénale que vous m'avez adressée en provenance du parquet de Grasse et vous informe que contrairement aux dispositions de l'
article 204 du Code de procédure pénale
visées en référence, cette demande ne correspond pas à une commission rogatoire internationale portant sur une information judiciaire ouverte dans un État étranger mais à une demande d'enquête préliminaire en matière pénale adressée par le Ministère public.
La présente demande ne relevant dès lors de ma compétence, je vous prie de bien vouloir trouver en retour, pour meilleure appréciation, les pièces ainsi transmises ».
Le 6 août 2018, le Procureur général demandait au juge d'instruction de « reconsidérer » son refus, notamment eu égard à l'urgence soulignée par l'État requérant, de procéder à une perquisition et d'obtenir la communication de données de nature fiscale, et de donner toutes suites utiles à sa désignation présidentielle.
l'appui de ses réquisitions, il faisait valoir :
- que la désignation du juge d'instruction par le Président du Tribunal de première instance emportait nécessairement un contrôle de la part de ce magistrat sur la régularité de l'exécution, par le juge d'instruction, de la demande d'entraide,
- qu'en l'état du droit positif, le Ministère public ne pouvait requérir ni la communication de données fiscales, ni la réalisation d'une perquisition hors le cas de flagrance,
- que l'
article 204 du Code de procédure pénale
devait être interprété en fonction, d'une part de sa finalité, soit le devoir absolu de l'État requis de coopérer, d'autre part des contraintes procédurales de l'État requis telles qu'énoncées par l'
article 694-2 du Code de procédure pénale
français, dont les principes pouvaient être repris en droit monégasque.
Le 8 août 2018, le juge instruction transmettait un nouveau soit-transmis au Procureur général, lui faisant retour des pièces à lui transmises, en faisant valoir :
- que la désignation effectuée le 24 juillet 2018 par le Président du Tribunal de première instance n'avait pas pour effet de lui ôter toute faculté d'apprécier la régularité de la demande d'entraide pénale internationale que lui avait adressée le Parquet général,
- que la référence à la « commission rogatoire donnée le 23 avril 2018 par Julien PRONIER, Vice-Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Grasse » était inexacte puisqu'il s'agissait non d'une commission rogatoire, mais d'une demande d'enquête préliminaire en matière pénale,
- que la référence faite au droit positif, sans référence à des dispositions pénales précises, ne lui permettait pas d'apprécier le fondement légal des prétentions du Parquet,
- que la combinaison des
articles 32, 34 et 98 du Code de procédure pénale
autorisait la réalisation, par le Parquet, de perquisitions « hors les cas de crime ou de délit flagrant »,
- que les dispositions de l'
article 204 du Code de procédure pénale
ne lui semblaient pas sujettes à interprétation dans la mesure où elles faisaient état des « commissions rogatoires régulièrement adressée relativement aux informations ouvertes dans un État étranger »,
- et qu'en application de la Convention d'Entraide Judiciaire en matière pénale du 5 novembre 2008, les demandes d'entraide devaient être exécutées conformément à la législation de la partie requise et que, dans ces conditions, toute référence à des dispositions édictées par un texte du Code de procédure pénale français, non applicables en Principauté, apparaissait sans objet.
Par
acte du 8 août 2018
, le Procureur général relevait appel du soit-transmis du juge d'instruction en date du même jour.
Aux termes de conclusions en date du 9 novembre 2018, le Procureur général requérait de la Chambre du conseil qu'elle reçoive l'appel et infirme la décision entreprise.
Il était soutenu, sur la recevabilité de l'appel, qu'au visa de l'
article 227 du Code de procédure pénale
, l'acte pris par le magistrat sous la forme d'un soit-transmis, constituait une décision de refus d'exécution pour cause d'incompétence, que dès lors, l'article 84 du même Code lui imposait de statuer par ordonnance mais que, bien que le magistrat instructeur n'ait pas respecté ces dispositions, l'acte avait la valeur juridique d'une ordonnance d'incompétence, ce qui rendait recevable l'appel du Parquet.
Il était ensuite soutenu, sur le fond, qu'en application de l'article 1 de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et la Principauté de Monaco du 8 novembre 2005, l'entraide judiciaire pouvait prendre la forme soit d'une commission rogatoire internationale émanant d'un magistrat instructeur, soit d'une demande d'entraide pénale émanant d'un Parquet ; que dans un cas, comme dans l'autre, il s'agissait d'autorités judiciaires ; qu'aux termes de l'
article 204 du Code de procédure pénale
, la commission rogatoire internationale devait être exécutée par un juge d'instruction, la demande d'entraide pénale pouvant, quant à elle, être exécutée par le Ministère public « pour fournir tout type d'assistance compatible avec le droit interne de la partie requise ». Qu'au cas d'espèce, il était sollicité par le Parquet de Grasse d'une part, l'obtention d'informations sur la société FE. & CO, notamment des déclarations fiscales, des copies de relevés bancaires, d'autre part, la recherche de tout élément ou toute information permettant d'établir le lien commercial entre cette société et une société VIA TRANSPORT, au besoin par perquisition. Que pour fonder son refus, le juge d'instruction avait considéré, de manière erronée, que le Parquet général pouvait faire exécuter l'ensemble des actes sollicités, de manière compatible avec le droit interne monégasque, alors que d'une part, le Parquet général ne pouvait, en l'état du droit positif, requérir directement les services fiscaux monégasques en vue de l'obtention de déclarations fiscales, d'autre part, qu'il ne pouvait, hors le cas de flagrance, faire réaliser une perquisition, qu'il résultait de l'interprétation des
articles 255 et 258 du Code de procédure pénale
, que le pouvoir de faire procéder à une perquisition chez la personne contre laquelle se révéleraient des indices n'était reconnu au Procureur général qu'en cas de crime ou de délit flagrant, qu'au surplus, l'article 21 de la Constitution de Monaco énonçait que le domicile était inviolable et qu'aucune visite domiciliaire ne pouvait avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et les conditions par elle prescrites et que dès lors, au risque d'encourir les peines prévues par l'
article 125 du Code pénal
, le magistrat instructeur se devait d'exécuter, ou de faire exécuter, dans les formes compatibles avec le droit interne, les actes relevant de sa compétence.
l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le Procureur général confirmait ses réquisitions écrites.
SUR CE,
Attendu que l'article 1er de la Convention franco-monégasque d'entraide judiciaire en matière pénale du 8 novembre 2005 énonce, en son article 1, notamment que les parties s'engagent à s'accorder mutuellement, selon les dispositions de la présente Convention, l'aide judiciaire la plus large possible dans toute procédure pénale conduite par une autorité judiciaire visant des infractions pénales ; l'entraide judiciaire accordée en application de la présente Convention peut être demandée pour fournir tout type d'assistance compatible avec le droit interne de la partie requise ;
Que la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, rendue exécutoire en Principauté par l'
Ordonnance Souveraine n° 1.088 du 4 mai 2007
énonce, en son article 3, que la partie requise fera exécuter, dans les formes prévues par sa législation, les commissions rogatoires relatives à une affaire pénale qui lui seront adressées par les autorités judiciaires de la partie requérante et qui ont pour objet d'accomplir des actes d'instruction ou de communiquer des pièces à conviction, des dossiers ou des documents ;
Qu'il s'évince de la combinaison de ces textes que l'entraide internationale, qui vise à fournir au pays requérant une assistance en matière judiciaire, doit demeurer compatible avec le droit interne du pays requis et respecter les formes prévues par sa législation ;
Que l'
article 204 du Code de procédure pénale
énonce que la juridiction compétente ou le juge d'instruction de la Principauté exécute, sur les réquisitions du Ministère public, les commissions rogatoires qui leur sont régulièrement adressées, relativement aux informations ouvertes dans un État étranger ;
Qu'il n'est pas allégué que ce texte serait contraire aux précédents ;
Qu'ainsi, au regard du droit interne monégasque, en matière d'entraide judiciaire internationale, le juge d'instruction n'exécute que les commissions rogatoires émanant de ses homologues étrangers, eux-mêmes saisis d'une information judiciaire ;
Attendu qu'au cas d'espèce, le Procureur général de Monaco a été destinataire, le 23 avril 2018, puis à nouveau le 5 juillet 2018, d'une demande d'entraide judiciaire émanant du Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Grasse, improprement qualifiée de « commission rogatoire », dès lors qu'elle n'émane pas d'un juge d'instruction de l'État requérant, régulièrement saisi d'une information judiciaire ;
Qu'il ressort expressément des dispositions de l'article 204 précité que le juge d'instruction de la Principauté, qui, en matière d'entraide pénale internationale, ne peut exécuter que des commissions rogatoires délivrées à l'occasion d'informations ouvertes à l'étranger, ne peut, même sur les réquisitions du Ministère public, exécuter une demande d'entraide émanant d'un parquet étranger ;
Qu'à le supposer exact, le moyen soutenu par le Procureur général, selon lequel il ne pourrait faire réaliser une perquisition hors les cas de flagrance, est sans incidence sur l'application au cas d'espèce de l'
article 204 du Code de procédure pénale
;
Qu'il en est de même du moyen selon lequel il ne peut, en l'état du droit positif, requérir directement les services fiscaux monégasques afin d'obtenir notamment des déclarations fiscales ;
Qu'en effet, le droit du for ne contient pas de dispositions équivalentes à celles contenues dans l'
article 694-2 alinéa 2 du Code de procédure pénale
français aux termes desquelles les demandes d'entraide émanant des autorités judiciaires étrangères sont exécutées par le juge d'instruction, ou par des officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire de ce magistrat, lorsqu'elles nécessitent certains actes de procédure qui ne peuvent être ordonnés ou exécutés qu'au cours d'une instruction préparatoire ;
Que dès lors, au cas particulier, l'exécution, par le juge d'instruction, de la demande d'entraide litigieuse aurait non seulement contrevenu au droit interne monégasque, mais également d'une part, à la Convention franco-monégasque d'entraide judiciaire en matière pénale du 8 novembre 2005, qui pose, comme principe, la compatibilité de la mesure d'assistance au droit interne du pays requis, et d'autre part à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, qui renvoie expressément aux formes prévues par la législation du pays requis ;
Qu'enfin, l'
article 82 du Code de procédure pénale
, relatif aux modalités de saisine du juge d'instruction énonce que ce magistrat est saisi soit par le Ministère public, soit par la personne qui se prétend victime d'une infraction ;
Que l'acte de saisine, qu'il émane du parquet ou de la partie civile, est l'acte par lequel l'auteur de la saisine demande qu'il soit instruit sur tels faits déterminés ;
Que dès lors, les ordonnances visées par l'
article 84 du Code de procédure pénale
sont celles que le juge d'instruction est amené à rendre lorsqu'il a été saisi d'une information judiciaire, dans les conditions ci-dessus rappelées ;
Qu'au cas particulier, le juge d'instruction, qui n'avait aucune compétence juridictionnelle, ne pouvait pas rendre d'ordonnance ;
Que dès lors, au regard de l'ensemble des éléments ci-dessus, le courrier dont appel, adressé le 8 août 2018 par le juge d'instruction au Procureur général, par lequel ce magistrat a fait retour des pièces à lui transmises « pour meilleure appréciation », ne s'analyse pas en une décision juridictionnelle et n'est pas, de ce fait, susceptible d'appel ;
Qu'en conséquence, l'appel relevé par le Procureur général le 8 août 2018, sera déclaré irrecevable ; Attendu que les frais du présent arrêt seront laissés à la charge du Trésor ;
Déclare irrecevable l'appel formé par le Procureur général le 8 août 2018 à l'encontre du soit-transmis du juge d'instruction,
Laisse les frais du présent arrêt à la charge du Trésor.