M. M. Jouhaud, prem. prés. ; Mahbert, v. prés. ; Apollis, cons. rap. ; Mme Cavellat-Delaroche, cons. ; Serdet, proc. gén. ; Mme Bardy, gref. en chef.
MM. Landwerlin, pr. prés. ; Adam, cons. ; Mme le Lay, prem. subst. proc. gén.
c/ consorts M.-C., D.
La Cour de révision,
Sur le moyen unique :
Vu les articles 82, 125, 132, 133 et 166 du Code de procédure pénale et le principe selon lequel un inculpé ne peut être entendu sous la foi du serment ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué que sur la plainte avec constitution de partie civile de Mme C., le procureur général ouvrait une information des chefs de faux et usage de faux en écriture privée, fausses attestations et usage et déclarations mensongères à un officier public à l'encontre de Mmes E. M.-C., C. M.-C. épouse B., D. M.-C. et F. D. ; que celles-ci acceptaient d'être entendues comme témoins par le juge d'instruction ; que le 13 juin 2003, le procureur général saisissait la chambre du conseil de la Cour d'appel aux fins d'annulation de ces auditions cotées D20, D21 et D22 et de la procédure subséquente ;
Attendu que, pour rejeter cette requête, l'arrêt retient que le défaut d'inculpation des personnes visées par le réquisitoire introductif et entendues par le magistrat instructeur « n'est pas en l'absence de prescription légale d'ordre public qui aurait alors été enfreinte, de nature à caractériser la violation en soi d'une règle substantielle destinée à garantir l'exercice de l'action publique » ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que Mmes E. M.-C., F. D. et C. B. qui avaient été mises personnellement en cause par la partie civile contre lesquelles le ministère public avait requis nommément l'ouverture d'une information devaient être considérées comme inculpées ; que dès lors, si ces personnes pouvaient renoncer à invoquer certaines nullités édictées dans leur seul intérêt, ainsi que le prévoit l'article 208 du Code de procédure pénale, elles ne pouvaient, selon la législation applicable, être entendues comme témoins, le principe selon lequel un inculpé ne peut être entendu sous la foi du serment étant d'ordre public ; qu'en refusant néanmoins de constater la nullité des actes critiqués, la Chambre du conseil de la Cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés garantissant les droits de la défense et l'exercice de l'action publique ;
Arrêt du 22 janvier 2004
La Chambre du conseil de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, siégeant comme juridiction d'instruction,
Considérant les faits suivants :
Par courrier enregistré le 11 octobre 2002 au Cabinet d'instruction, Marie-Reine Chabert déposait plainte contre E. M.-C., C. M.-C. épouse B., D. M.-C. et F. D., du chef de faux en écriture privé, fausses attestations, usage de faux et de fausses attestations et déclarations mensongères à un officier public.
M.-R. C. exposait à l'appui de sa plainte que D. M.-C., ayant formé appel du jugement du 11 janvier 2001 par lequel le Tribunal de première instance avait prononcé leur séparation de corps, avait produit, dans le cadre de cette instance, une attestation de sa mère, E. M.-C. ainsi qu'une attestation de sa fille, C. B., lesquelles n'avaient pas été rédigées par celles-ci par F. D., selon l'avis d'un expert assermenté.
Ainsi, aux termes de la plainte, E. M.-C. et C. B., qui auraient tenté de faire croire qu'elles étaient les rédactrices des attestations et qu'elles avaient respecté les prescriptions de l'article 324 du Code de procédure civile, auraient commis des faux en écriture privée.
De même, E. M.-C., C. B. et F. D. auraient établi des fausses attestations dès lors que les deux attestations au nom d'E. M.-C. et C. B. auraient été rédigées par une tierce personne qui n'aurait pas pu constater les faits relatés dans ces attestations.
M.-R. C. épouse M.-C. indiquait en outre que D. M.-C. qui avait reconnu dans des écritures judiciaires entretenir une relation stable avec F. D. avait nécessairement connu la fausseté des attestations, tant sur leur forme que sur leur fond, mais les avait néanmoins utilisées dans la procédure suivie devant la Cour d'appel, en sorte qu'il aurait commis les délits d'usage de faux en écriture privée et d'usage d'attestations inexactes.
Enfin, selon la plaignante, E. M.-C. et C. B. auraient commis le délit de déclarations mensongères à un officier public, Maître Calvin, huissier de justice, en lui affirmant que ces deux attestations avaient été rédigées par C. B., alors que le véritable rédacteur était F. D.
Le 11 novembre 2002, le procureur général, visant l'article 74 du Code de procédure pénale, ouvrait une information en faisant état de ce qu'il résultait des pièces communiquées, des présomptions graves de faux en écriture privée, fausses attestations, usage de faux et de fausses attestations, déclarations mensongères à un officier public, contre E. M.-C., C. M.-C. épouse B., F. D., et D. M.-C.
Le magistrat instructeur a procédé aux auditions, en qualité de témoins de F. D., C. M.-C. épouse B. et E. C. H. veuve M. G., après les avoir informées, toutes trois, de ce qu'elles pouvaient demander à bénéficier du statut d'inculpé ou accepter d'être entendues en qualité de simple témoin.
Elles ont déclaré expressément au juge d'instruction qu'elles ne demandaient pas leur inculpation et qu'elles acceptaient d'être interrogées en qualité de simple témoins.
l'issue de ces trois auditions, le magistrat instructeur a avisé la partie civile le 7 février 2003 du dépôt de la procédure au greffe pendant un délai de quinze jours durant lequel d'éventuelles demandes pourraient être présentées.
Le conseil de la partie civile a ainsi sollicité, par courrier enregistré au greffe du Cabinet d'instruction le 25 février 2003 l'inculpation des quatre personnes visées dans les réquisitions aux fins d'informer pour les infractions qui y sont énumérées ainsi que l'organisation d'une confrontation entre toutes les parties.
Par ordonnance rendue le 17 mars 2003, le juge d'instruction a déclaré irrecevable la demande présentée par le conseil de la partie civile en ce qu'elle tendait à l'inculpation des consorts M.-C., et rejeté la demande en ce qu'elle tendait à l'organisation d'une confrontation, après avoir relevé notamment que l'inculpation n'était pas un des actes que la loi autorisait la partie civile à solliciter du juge d'instruction, que l'inculpation d'une personne ne pouvait intervenir que s'il existait à son encontre des indices graves et concordants d'avoir participé aux infractions qui lui étaient imputées aux termes du réquisitoire d'informer du procureur général.
Ainsi, selon le magistrat instructeur, le procureur général n'avait pu, dans le cadre d'une plainte avec constitution de partie civile directement déposée devant le juge d'instruction, que se livrer à la vérification des conditions de recevabilité formelle de la plainte, et ses réquisitions d'informer ne pouvaient donc être interprétées comme la preuve de l'existence desdits indices graves et concordants mais seulement de présomptions d'infractions et qu'il en résultait que le juge d'instruction ne pouvait être considéré comme contraint de suivre ces réquisitions et de prononcer l'inculpation des personnes visées dans la plainte, eu égard notamment au principe de la présomption d'innocence.
Enfin le magistrat instructeur a rejeté la demande de confrontation au motif que cet acte était manifestement inutile à la manifestation de la vérité dès lors que les témoins avaient intégralement reconnu l'exposé des circonstances du litige tel qu'il avait été fait par la partie civile.
Le 24 mars 2003 le juge d'instruction a rendu une ordonnance de soi-communiqué au procureur général afin que celui-ci prenne ses réquisitions définitives.
C'est en cet état de la procédure qu'a été présentée à la Chambre du conseil la requête susvisée du procureur général en date du 13 juin 2003 dont les moyens de nullité ont été repris à l'audience du 3 juillet 2003 par le ministère public, en présence du conseil de la partie civile qui a conclu pour sa part au bien-fondé de ladite requête sur laquelle a été rendu l'arrêt susvisé du 20 juillet 2003.
Ensuite de cet arrêt et à l'audience du 15 janvier 2004 à laquelle ont été en dernier lieu ajournés les débats, le ministère public a maintenu les termes de sa requête du 13 juin 2003, Maître Arnaud Zabaldano s'y associant pour sa part, au nom de M.-R. C.
Sur quoi,
Considérant que lors de l'ouverture de l'information en cause à la date du 11 novembre 2002, le procureur général a estimé que, des pièces communiquées à la suite de la plainte avec constitution de partie civile de M.-R. C. épouse M.-C., il résultait contre E. M.-C., C. M.-C. épouse B., F. D. et D. M.-C., des présomptions graves de faux en écriture privée, fausses attestations, usage de faux et de fausses attestations, déclarations mensongères à un officier public, qu'il a donc requis du juge d'instruction d'informer de ces chefs par toutes voies de droit ;
Considérant que le magistrat instructeur a ensuite procédé aux auditions en qualité de témoins de F. D., de C. M.-C. épouse B. et d'E. C. H. veuve M. G. qui, toutes trois ont expressément renoncé au bénéfice du statut d'inculpé et accepté d'être entendues en qualité de témoin ; que D. M.-C. n'a, quant à lui, fait en revanche l'objet d'aucune audition ou inculpation par le juge d'instruction ;
Considérant que par la requête susvisée, le ministère public a saisi la Chambre du conseil aux fins que soit prononcée l'annulation des procès-verbaux d'audition des témoins F. D. (cote D20), C. M.-C. épouse B. (cote D21) et E. C. H. veuve M. G. (cote D22) et celle de la procédure subséquente ;
Considérant que les trois personnes susnommées, qui, en l'état de la requête susvisée, ont été appelées à faire valoir leurs droits, outre D. M.-C., n'ont pas, en dépit de la signification leur étant destinée de l'arrêt précité du 10 juillet 2003, ou des convocations subséquentes, comparu à cet effet devant la Chambre du conseil non plus qu'exprimé par écrit leur point de vue à la juridiction ;
Considérant en droit, qu'en application des articles 207, 208 et 209 du Code de procédure pénale, lorsqu'elle est saisie de l'ensemble du dossier de la procédure, par l'ordonnance de renvoi en matière criminelle ou par l'appel d'une ordonnance de règlement en matière correctionnelle, la Chambre du conseil prononce, à la demande des parties ou d'office, la nullité des actes dont elle constate l'irrégularité, contrairement au cas où elle n'est saisie que de l'appel d'une ordonnance en cours d'information, ses pouvoirs étant alors limités par l'effet dévolutif de l'appel, qui exclut que les parties puissent la saisir, d'un quelconque moyen de nullité étranger à l'unique objet de leur voie de recours ;
Qu'en outre lorsqu'elle est saisie par requête du Procureur général ou du magistrat instructeur sur le fondement des dispositions de l'article 209 précité du Code de procédure pénale, la Chambre du conseil se prononce sur la régularité des seuls actes qui lui sont alors déférés ;
Considérant que les nullités qui peuvent être prononcées dans ces conditions par la chambre du conseil doivent être, alors, soit textuellement prévues par la loi, soit procéder d'une violation des dispositions substantielles applicables à l'information ou au déroulement de l'enquête préalable à celle-ci ;
Considérant qu'à cet égard, l'article 456 du Code de procédure pénale définit comme étant substantielles les formes constitutives des juridictions ou de leurs décisions, ainsi que celles prescrites pour garantir l'exercice de l'action publique et les droits de la défense ;
Considérant, par ailleurs, que toutes les nullités de procédure qu'elles soient textuelles ou virtuelles, répondent en outre à la distinction existant entre celles qui sont d'ordre public et celles qui, relatives à des formes prévues dans le seul intérêt de l'inculpé ou de la partie civile, n'ont strictement qu'un caractère d'ordre privé ;
Qu'en effet, outre que ces parties peuvent, dans le cours de l'information, et selon les conditions prévues par l'article 208 du Code de procédure pénale renoncer à se prévaloir de l'inobservation des formes prévues dans leur seul intérêt, elles sont seules admises à invoquer les nullités pouvant en résulter, comme en dispose l'article 468 du Code de procédure pénale, tandis que, s'agissant des nullités d'ordre public, celles-ci peuvent être en revanche invoquées par le ministère public comme par les autres parties, et même relevées d'office par la Chambre du conseil dans l'exercice de son pouvoir de révision lorsqu'elle est saisie de l'entier dossier de la procédure ;
Considérant qu'il s'ensuit que l'éventuelle nullité des trois actes mentionnés par le ministère public en se requête susvisée du 13 juin 2003, doit donc s'apprécier sur la base de la double distinction existant d'une part, entre nullités textuelles et nullités substantielles, d'autre part entre nullités d'ordre public et nullités d'ordre privé ;
Considérant, en l'espèce, que pour justifier l'annulation sollicitée des procès-verbaux cotés D20, D21 et D22, et des pièces subséquentes, le procureur général a fait valoir la circonstance qu'il a été procédé par le magistrat instructeur, comme il a été ci-dessus rapporté, à l'audition en qualité de témoins de trois des personnes visées par le réquisitoire introductif, soit E. M.-C., C. B. et F. D., ce qui constituerait une violation des formes substantielles prescrites pour garantir l'exercice de l'action publique et les droits de la défense, dès lors que ces trois personnes auraient nécessairement dû être inculpées ;
Considérant qu'il résulte ainsi de sa requête que le procureur général fait d'abord grief au magistrat instructeur de n'avoir pas appliqué, en l'occurrence, les dispositions de l'article 166 du Code de procédure pénale, qui sont prévues à peine de nullité, ce, au détriment des trois personnes susnommées entendues comme témoins, et, de n'avoir pas alors formellement procédé à l'inculpation de celles-ci en dépit du réquisitoire introductif ;
Considérant, cependant, que les nullités textuelles résultant de l'inobservation de l'article 166 précité du Code de procédure pénale, seulement prévues pour garantir les droits de la défense, ne sont pas d'ordre public ;
Que le procureur général ne saurait dès lors être admis à s'en prévaloir en l'espèce ;
Considérant, d'autre part, que le défaut incriminé d'inculpation de ces mêmes personnes par le magistrat instructeur lors de leur audition, n'est pas, en l'absence de prescription légale d'ordre public qui aurait alors été enfreinte, de nature à caractériser la violation, en soi, d'une règle substantielle destinée à garantir l'exercice de l'action publique ;
Qu'en effet, avant de procéder comme en l'espèce à la communication pour règlement de la procédure d'information, le juge d'instruction n'était pas tenu d'inculper les personnes visées dans l'acte de poursuite, dès lors qu'il pouvait lui apparaître, au vu des éléments de l'information, que leur culpabilité se trouvait d'ores et déjà exclue ;
Considérant qu'ainsi la requête susvisée du procureur général ne s'avère pas justifiée, qu'il convient, par suite, de la rejeter, et de renvoyer le dossier de la procédure au juge d'instruction pour reprise de l'information, ou règlement de celle-ci, au vu des réquisitions du ministère public dont ce magistrat serait dès lors saisi ;PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DU CONSEIL DE LA COUR D'APPEL,
- Rejette la requête susvisée du procureur général, en date du 13 juin 2003,
- Ordonne le renvoi du dossier de la procédure au juge d'instruction pour reprise de l'information ou règlement de celle-ci.
Casse et Annule en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Chambre du conseil de la Cour d'appel du 22 janvier 2004 et pour être statué à nouveau conformément à la loi ;
Renvoie la cause et les parties devant la Chambre du conseil de la Cour d'appel autrement composée ;
NOTE : Cet arrêt casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Chambre du conseil de la Cour d'appel du 22 janvier 2004, publié ci-après qui avait rejeté la requête du procureur général, aux fins d'annulation des auditions de témoins.