M. A. né ZZ
Dans le cadre d'une instruction pénale, une perquisition a eu lieu en présence du magistrat instructeur au cabinet de M. A., avocat et du matériel informatique. S'en est suivi une expertise faisant état de faits nouveaux susceptibles de caractériser d'éventuelles infractions pénales commises. Une information judiciaire a été ouverte contre M. A. des chefs de fixation, enregistrement, production ou transmission d'une image ou d'une représentation à caractère pornographique d'un mineur, offre ou diffusion, importation ou exportation d'une telle image ou représentation, détention et accession à une telle image ou représentation. L'inculpé a saisi la Chambre du conseil de la Cour d'appel tendant à faire annuler la perquisition et le transport des documents. La requête est rejetée. M.A se pourvoit devant la Cour de révision, se fondant notamment sur les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, arguant que l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée commise par les autorités est excessive et ne serait pas prévue par la loi dans le cadre d'une perquisition chez un avocat. Il dénonce également l'absence de proportionnalité qui doit être renforcée dans le cadre d'une expertise chez un avocat et met en cause la validité de la procédure de d'expertise.
La Cour de révision rejette le recours du requérant, considérant que la perquisition s'est déroulée en présence du magistrat instructeur et du bâtonnier sans qu'il émette la moindre observation. Seuls les éléments susceptibles d'intéresser l'enquête ont été appréhendés et M. A. a bénéficié d'un droit à un recours effectif. La chambre de l'instruction a correctement déduit que la perquisition litigieuse était nécessaire et proportionnée dès lors que la loi impose d'informer à charge et à décharge, ce qui impliquait de rechercher si M A. n'était pas entré en possession de ces informations qu'il aurait eu antérieurement eu à connaître en tant qu'avocat dans l'affaire ayant conduit à la perquisition. S'agissant du recours à l'expert, celui-ci est intervenu en simple assistance, requis par le magistrat instructeur, dans le cadre des mesures que ce dernier estimait utiles à la manifestation de la vérité. L'absence de signature du rapport n'est susceptible de constituer un cas de nullité seulement si elle porte atteinte aux droits de la défense si celui-ci n'en était pas l'auteur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il ne peut non plus être reproché à l'expert d'avoir parcouru les documents qui lui ont été remis ou d'avoir recherché au-delà de ce qui lui était demandé.
Hors Session - Chambre du conseil pénale
LA COUR DE RÉVISION,
Pourvoi N° 2022-08
Hors Session
Chambre du conseil pénale
En la cause de :
- A. né le ZZ à MONACO (98000), de nationalité monégasque, avocat-défenseur, demeurant à MONACO (98000) ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et ayant pour avocat plaidant Maître William BOURDON, avocat au Barreau de Paris ;
DEMANDEUR EN RÉVISION,
En présence du MINISTÈRE PUBLIC
Statuant hors session et uniquement sur pièces, en application des dispositions de l'
article 489 du Code de procédure pénale
;
VU :
- l'arrêt de la Cour d'Appel, statuant en chambre du conseil instruction, en date du 3 novembre 2021 ;
- la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 15 novembre 2021, par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de A. ;
- la requête en aux fins d'examen immédiat déposée le 15 novembre 2021 au greffe général, par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de A. ;
- la requête en révision déposée le 30 novembre 2021 au greffe général, par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de A. accompagnée de 3 pièces, signifiée le même jour ;
- l'ordonnance rendue par Madame le Premier Président en date du 3 décembre 2021, rejetant la requête aux fins d'examen immédiat ;
- les conclusions du Ministère public en date du 15 décembre 2021 ;
- le certificat de clôture établi le 23 décembre 2021 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
l'audience du 21 mars 2022, sur le rapport de Madame Martine VALDES-BOULOUQUE, Conseiller ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu qu'à la suite de la publication de divers articles de presse au cours du mois d'août 2017, relatifs au contenu d'un rapport d'expertise réalisé par M. B. expert en informatique, commis par un juge d'instruction de Monaco dans le cadre d'une information judiciaire ouverte à son cabinet, pour atteinte à la vie privée, sur plainte avec constitution de partie civile de Mme C. une plainte pour violation du secret de l'instruction et recel a été déposée par M. D. M. E. Mme F.et les sociétés G.et H.; qu'une information a été ouverte de ces chefs contre personnes non dénommées ; que dans le cadre de cette information, une perquisition a été opérée le 12 décembre 2017, en présence du magistrat instructeur, au domicile et au cabinet de M. A. avocat-défenseur, à l'occasion de laquelle du matériel informatique a été saisi ; que le 8 mai 2018, le juge d'instruction a transmis au Procureur général un rapport d'expertise complémentaire établi par M. I. expert en informatique, faisant état de faits nouveaux susceptibles de caractériser d'éventuelles infractions pénales commises sur le territoire monégasque ; que suivant réquisitoire introductif du 30 avril 2019, une information judiciaire a été ouverte contre M. A. des chefs de fixation, enregistrement, production ou transmission d'une image ou d'une représentation à caractère pornographique d'un mineur, offre ou diffusion, importation ou exportation d'une telle image ou représentation, détention et accession à une telle image ou représentation, faits commis à Monaco, courant 2017, 2018 et 2019 ; que M. A. a été inculpé de ces chefs le 20 mai 2019 ; que le 29 avril 2021, il a saisi la Chambre du conseil de la cour d'appel, statuant comme juridiction d'instruction d'une requête tendant à l'annulation du procès-verbal de transport et de perquisition du 12 décembre 2017 et du rapport complémentaire établi par l'expert I.; que par arrêt du 3 novembre 2021, la Chambre du conseil a déclaré cette requête recevable, mais l'a rejetée ; que M. A. s'est pourvu en révision ;
Sur le premier moyen, les deux branches étant réunies
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'écarter la demande de M. A. tendant à l'annulation du procès-verbal de transport et de perquisition du 12 décembre 2017, alors, selon le moyen, de première part, « que la Cour européenne des droits de l'homme exige, en présence d'une ingérence portant atteinte à un droit protégé par la Convention, que celle-ci soit "prévue par la loi", c'est-à-dire qu'elle dispose d'une base légale en droit interne, la rendant prévisible et permettant au citoyen de disposer de renseignements suffisants sur le cadre juridique applicable ; qu'en retenant que cette condition était remplie en l'espèce, alors qu'elle avait elle-même constaté d'une part qu'aucune disposition du droit interne ne prévoyait un cadre particulier pour les mesures de perquisitions et de saisies perpétrées au sein d'un cabinet d'avocat, d'autre part qu'il n'existait aucune jurisprudence en la matière, ce dont il découlait que les mesures précitées ne disposaient d'aucune base légale en droit interne, la Chambre du conseil a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme » ; et alors de deuxième part, « qu'au titre de la condition de la "prévision par la loi", la Cour européenne des droits de l'homme exige que le droit interne prévoit (sic) des règles suffisamment précises et détaillées pour constituer une véritable garantie contre l'arbitraire ; qu'en retenant que cette condition était remplie, au seul motif que les opérations de perquisition et de saisies s'étaient déroulées en la présence constante du magistrat instructeur et du Bâtonnier de l'Ordre des avocats et que ce dernier "pouvait présenter toute remarque, observation ou objection au cours des opérations, dont les procès-verbaux relatent que seuls des éléments ciblés ont été saisis si bien qu'il pouvait là encore consulter ou prendre connaissance des documents préalablement à leur placement sous-main de justice", alors qu'il est établi qu'en l'absence de tout cadre légal, ni l'inculpé, ni le Bâtonnier n'avait connaissance de leur prétendue faculté de pouvoir intervenir au cours des opérations pour garantir le secret professionnel, qu'en outre aucune procédure particulière n'était prévue pour permettre la mise en œuvre concrète de ce pouvoir de contrôle, ce dont il résulte que les garanties invoquées étaient en réalité dénuées de toute effectivité, la Chambre du conseil a violé une nouvelle fois l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ».
Mais attendu qu'après avoir relevé que la perquisition litigieuse avait été conduite par le juge d'instruction qui s'est déplacé personnellement au domicile et au cabinet de M. A. qu'elle s'est déroulée en la présence constante et effective du bâtonnier qui pouvait présenter toute remarque, observation ou objection pendant le déroulement des opérations et prendre connaissance des documents préalablement à leur saisie, ce qu'il s'est abstenu de faire, et en présence de M. A. lequel n'a pas non plus formulé d'observation, que seuls des éléments susceptibles d'intéresser l'enquête ont été appréhendés au cours de la perquisition, et enfin qu'en présentant une requête en nullité de la perquisition, ce dernier a bénéficié d'un recours effectif pour contester les mesures prises, la Chambre du conseil en a exactement déduit, sans contradiction de motifs et sans violer les textes visés au moyen, que des garanties suffisantes ont été prises pour assurer le respect du secret professionnel ; que le moyen doit être rejeté ;
Sur le deuxième moyen
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'écarter la demande de M. A. tendant à l'annulation du procès-verbal de transport et de perquisition du 12 décembre 2017, alors, selon le moyen, « que la Cour européenne des droits de l'homme exige, en présence d'une ingérence portant atteinte à un droit protégé par la Convention, que celle-ci soit "nécessaire dans une société démocratique", que cette exigence de proportionnalité est renforcée en présence d'une perquisition visant les locaux d'un avocat ; qu'en retenant néanmoins que les mesures de perquisition et de saisies constituaient des ingérences nécessaires dans une société démocratique l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en se bornant à relever que la divulgation dans la presse d'éléments provenant d'un rapport d'expertise "pouvait générer des interrogations légitimes susceptibles de mener à des investigations", que la découverte au cours de la perquisition d'un mail provenant d'un client de l'inculpé et contenant des éléments litigieux n'avait pas privé d'objet les mesures en cours, et que la saisie avait été circonscrite aux seuls éléments susceptibles d'intéresser l'enquête, concluant "qu'aucune disproportion dans les opérations d'investigation n'est caractérisée", et en s'abstenant de rechercher quelle était précisément la finalité des mesures entreprises, puis de vérifier qu'aucune autre mesure moins coercitive n'aurait pu permettre d'atteindre cet objectif, et enfin de contrôler que les mesures ordonnées avaient été strictement limitées au but recherché, la Chambre du conseil a violé l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme » ;
Mais attendu qu'après avoir relevé d'une part que les éléments parus dans la presse étaient issus du rapport de l'expert B. déposé dans le cadre de l'information judiciaire ouverte suite à la plainte pour atteinte à la vie privée déposée par Mme C. dont M. A. était l'avocat jusqu'à l'été 2017, avant d'être celui de M J. lequel n'était pas partie à cette procédure et que cette situation pouvait « générer des interrogations légitimes susceptibles de mener à des investigations » ; et d'autre part, que la découverte d'un mail de M. J. en date du 24 juillet 2017 adressé à M. A.et comportant en ficher joint des éléments du rapport de M. B. devait conduire le juge d'instruction, à qui la loi impose d'informer à charge et à décharge, à rechercher si M A. n'était pas entré en possession de ces informations antérieurement ou encore par le biais d'une personne susceptible d'avoir violé le secret de l'instruction, la Chambre du conseil a pu en déduire, sans violer le texte visé au moyen, que la perquisition litigieuse était nécessaire et qu'aucune disproportion dans les opérations d'investigation n'était caractérisée ; que le moyen doit être rejeté ;
Sur le troisième moyen
Attendu qu'il est fait grief à la Chambre du conseil d'écarter la demande de M. A. visant à faire constater la nullité des opérations de perquisition et de saisies du 12 décembre 2017, en ce que celles-ci sont intervenues en violation des
articles 113 et 116 du Code de procédure pénale
, alors, selon le moyen, « que le premier de ces textes dispose que seuls sont habilités à réaliser des expertises les personnes autorisées à exercer dans la Principauté ou ayant été désignées exceptionnellement par le premier président de la cour d'appel, qu'aux termes du second, l'expert doit prêter serment avant de procéder aux opérations ; qu'en retenant néanmoins que la nullité n'était pas encourue, alors qu'elle avait elle-même constaté que M H. I. avait participé à la perquisition sans y avoir été habilité et sans avoir prêté serment, et alors qu'il est établi qu'au cours des opérations, celui-ci avait commencé ses opérations d'expertise, lesquelles ont été interrompues simplement en raison de l'importance du volume des données, justifiant que les biens soient saisis et que l'expert poursuive ses opérations plus tard, la chambre du conseil a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé les
articles 113 et 116 du Code de procédure pénale
» ;
Mais attendu qu'après avoir relevé d'une part, que l'autorisation de désignation de l'expert I. par le Premier président de la Cour d'appel avait été obtenu de sorte que les dispositions de l'
article 113, alinéa 2 du Code de procédure pénale
avait été respectées et d'autre part, que cet expert était intervenu en simple assistance, requis par le magistrat instructeur, dans le cadre des mesures que ce dernier estimait utiles à la manifestation de la vérité, en application de l'
article 87 du Code de procédure pénale
, la Chambre du conseil en a exactement déduit, sans contradiction de motifs et sans violer les textes visés au moyen, que la présence de l'expert au cours des opérations de perquisition, alors qu'il n'avait pas encore prêté serment, était régulière ; que le moyen doit être rejeté ;
Sur le quatrième moyen
Attendu qu'il est fait grief à la Chambre du conseil d'écarter la demande de M. A. tendant à faire constater la nullité du rapport d'expertise complémentaire déposé par M. I. du fait de l'absence de date et de signature permettant de garantir l'authenticité de celui-ci, alors, selon le moyen, « que l'
article 121 du Code de procédure pénale
impose à l'expert de dater et de signer son rapport ; qu'en retenant néanmoins que la nullité n'était pas encourue, après avoir elle-même constaté que le rapport litigieux n'avait été ni signé ni daté par l'expert, au motif que cette disposition ne constituerait pas une formalité substantielle, la Chambre du conseil a violé l'
article 121 du Code de procédure pénale
, partant l'article 207 du même code » ;
Mais attendu qu'ayant exactement retenu que les dispositions de l'
article 207 du Code de procédure pénale
devaient être interprétées à la lumière de celles de l'article 456 du même code, de sorte que l'absence de signature de son rapport par l'expert n'était susceptible de constituer un cas de nullité que si elle était de nature à porter atteinte aux droits de la défense, c'est-à-dire en l'absence de tout élément propre à établir qu'il en était bien l'auteur, c'est sans encourir les griefs du moyen que la Chambre de l'instruction, qui a déduit des circonstances de la remise du rapport, des contacts postérieurs que l'expert avait eu avec le juge d'instruction ainsi que de son audition par ce dernier, qu'il n'y avait pas de doute sur ce point, a pu écarter toute nullité de ce chef ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen
Attendu qu'il est fait grief à la Chambre du conseil d'écarter la demande de M. A. tendant à faire constater la nullité du rapport d'expertise complémentaire déposé par M. I. du fait que ce dernier a excédé les missions qui lui avaient été confiées, violant les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors, selon le moyen, « que pour écarter la nullité tirée de la violation des articles précités, l'arrêt retient que l'expert s'est borné à exécuter consciencieusement sa mission ; qu'en statuant ainsi sans répondre à l'articulation essentielle de la requête qui lui était soumise, par laquelle l'inculpé faisait valoir que pour trouver les 5 fichiers litigieux, l'expert avait dû procéder à un examen minutieux de centaines de milliers de fichiers contenant des bandes dessinées, lesquels n'entretenaient manifestement aucun lien avec sa mission qui se limitait à la recherche d'échanges de messages avec des journalistes, excédant largement sa mission dans des conditions laissant planer un doute important sur sa partialité, la Chambre du conseil a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation et a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme » ;
Mais attendu que c'est sans insuffisance de motifs, ni violation des textes visés au moyen, qu'ayant retenu que l'expert se devait, pour réaliser sa mission, de rechercher les échanges, fichiers ou données concernant le rapport de M. B. la Chambre du conseil a pu en déduire qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir parcouru divers dossiers, fichiers, images ou vidéos issues des données contenues dans les supports numériques qui lui avaient été remis et d'avoir recherché leur contenu au-delà de leur libellé ou de leur emplacement qui auraient pu constituer une tentative de dissimulation ; que le moyen doit être rejeté ;
Condamne A. aux frais ;
Ainsi jugé et rendu le vingt-neuf avril deux mille vingt-deux, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Serge PETIT, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Madame Martine VALDES-BOULOUQUE, Conseiller, rapporteur.
Et Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, a signé avec Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le Greffier en Chef, Le Premier Président.