LégiMonaco - Cour de révision - SCP C G./c/ p. F
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Cour de révision

Monaco

22 janvier 2022

SCP C G.

c/ p. F

Contentieux Judiciaire

Abstract

             
  Pourvoi en révision – Matière pénale – Partie civile – Non-lieu – Condition – Pourvoi en révision concomitant du Ministère public – Procès équitable (non) – Article 6 § 1 de la CEDH – Méconnaissance du principe d'égalité des armes
  Escroquerie – Usage de faux en écriture privée de commerce ou de banque – Non-lieu – Fausses factures de travaux – Conscience du préjudice causé à la partie civile (non) – Destination véritable des fonds connue de la partie civile (oui) – Dol spécial – Elément intentionnel de l'infraction caractérisé (non) – Fausses factures acquittées en connaissance de l'état d'avancement du chantier de travaux visé par les factures

Résumé

Le fait que la possibilité pour une partie civile de former un pourvoir en révision contre un arrêt de non-lieu soit subordonnée à l'introduction concomitante d'un pourvoi par le Ministère public, apporte une restriction injustifiée aux droits de l'une des parties et constitue une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La décision de non-lieu des chefs de faux en écriture privée, de commerce ou de banque, d'usage desdits faux et d'escroqueries est justifiée. La conscience du prévenu du préjudice infligé à la partie civile n'est pas établie. Cette dernière était avisée de la véritable destination des fonds acquittés sur la foi des fausses factures établies, à savoir le financement de travaux sur un autre immeuble sis en Italie. De plus, la partie civile a réglé lesdites factures en connaissance de l'état d'avancement des travaux de l'appartement monégasque, demeuré à nu, excluant ainsi tout élément intentionnel de l'infraction d'escroquerie.

Hors Session - Chambre du conseil pénale

LA COUR DE RÉVISION,

Pourvoi N° 2021-69

Hors Session

Chambre du conseil pénale

En la cause de :

- la Société civile professionnelle dénommée C G., dont le siège social est chez NORTH ATLANTIC S.A.M., « Patio Palace », 41 avenue Hector Otto à MONACO (98000), agissant poursuites et diligences de son président-délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège, constituée partie civile ,

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, près la Cour d'appel de Monaco et ayant pour avocat plaidant la SCP SPINOSI & SUREAU ;

DEMANDERESSE EN RÉVISION, d'une part,

Dans une information judiciaire suivie contre :

1- p. F., né le 22 mai 1955 à SAN GIMIGNANO (Italie), de y. et de e. T. de nationalité française, retraité et consultant, demeurant à MENTON (06500) ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, près la Cour d'appel de Monaco et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

2- p. M., né le 13 mars 1957 à CARPIGNANO SESIA (Italie), de c. et d i. M. de nationalité italienne, entrepreneur, demeurant X2 CARPIGNANO SESIA (Italie) ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, près la Cour d'appel de Monaco et ayant pour avocat plaidant Maître Jean-Michel GARRY, avocat au Barreau de Toulon ;

DÉFENDEURS EN RÉVISION,

En présence du MINISTÈRE PUBLIC, d'autre part,

Statuant hors session et uniquement sur pièces, en application des dispositions de l' article 489 du Code de procédure pénale  ;

VU :

- l'arrêt de la Cour d'appel, statuant en chambre du conseil instruction, en date du 24 juin 2021 ;

- la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 7 juillet 2021, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SCP C G. ;

- la requête en révision déposée le 22 juillet 2021 au greffe général, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SCP C G. accompagnée de 5 pièces, signifiée le même jour ;

- les conclusions du Ministère public en date du 3 août 2021 ;

- la contre-requête déposée le 4 août 2021 au greffe général, par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de p. F. signifiée le même jour ;

- la contre-requête déposée le 6 août 2021 au greffe général, par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, au nom de p. M. accompagnée de 3 pièces, signifiée le même jour ;

- le certificat de clôture établi le 10 août 2021 par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

Ensemble le dossier de la procédure,

l'audience du 16 décembre 2021, sur le rapport de Monsieur Jacques RAYBAUD, Conseiller ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 29 décembre 2015, la SCP C G. déposait plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction à l'encontre de M. p.M.et de la société OFFICE DE TRANSPORTS MONÉGASQUES des chefs d'abus de confiance, de faux, d'usage de faux et d'escroqueries pour le premier et de complicité de ces délits pour la société ; que par ordonnance du 4 janvier 2021 , le magistrat instructeur, retenant qu'il ne résultait pas de l'information charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis les délits susvisés, a dit n'y avoir lieu à suivre de ces chefs ; que par arrêt du 24 juin 2021, la chambre du conseil de la cour d'appel, statuant comme juridiction d'instruction, a confirmé l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction ; que par déclaration du 7 juillet 2021 , la SCP C G. a formé un pourvoi contre cette décision ;

Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense

Attendu que la SCP C G. soutient que la Cour de révision ne peut, en application de l' article 462 du Code de procédure pénale , déclarer son pourvoi irrecevable sans violer les articles 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son article 14 prohibant toute discrimination dans les droits protégés par ladite Convention ;

Mais attendu que le principe de l'égalité des armes garanti par l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales suppose que les parties au procès pénal disposent des mêmes droits ; que ce principe est applicable à toutes les phases de la procédure d'instruction ; que les limitations du droit pour la partie civile de former un pourvoi en révision contre un arrêt de non-lieu en l'absence de pourvoi du ministère public apporte une restriction injustifiée aux droits de l'une des parties et constitue une atteinte effective au droit à un procès équitable ;

D'où il suit que le pourvoi est recevable ;

Sur les deux moyens réunis

Attendu que la SCP C G. fait grief à l'arrêt attaqué de statuer comme il le fait alors, selon le premier moyen :

1°) « qu'aux termes de l' article 90 du Code pénal , constitue un faux en écriture toute altération de la vérité, commise avec conscience de nuire, dans un écrit destiné ou apte à servir à la preuve d'un droit ou d'un fait ayant un effet de droit, l'usage d'un tel écrit étant par ailleurs incriminé par l'article 95 du même code ; que la "conscience de nuire" correspond à la connaissance doublée de la volonté de réaliser l'élément matériel de l'infraction ; qu'en constatant expressément que les inculpés "ont ainsi établi en toute connaissance de cause des fausses factures portant sur des travaux qu'ils savaient fictifs et qu'ils en ont fait usage" (Arrêt, p. 16), la Chambre du conseil n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il résulte à tout le moins des charges suffisantes d'avoir commis ces délits justifiant un renvoi devant la juridiction de jugement ;

2°) qu'à le supposer démontrer (sic), le fait que les factures litigieuses aient été établies à la demande ou au su de la victime relève tout au plus du mobile, et n'est pas un fait justificatif de I ‘infraction de faux et d'usage de faux, incrimination ayant vocation à protéger la paix publique ; qu'en s'appuyant sur de prétendues instructions données par la SCP C G. pour considérer qu'aucune charge ne pouvait être retenue, malgré le constat de la réunion des éléments constitutifs des délits, et sans tenir compte de la circonstance que les factures dont la Chambre du conseil admet le caractère faux ont été transmises à l'administration fiscale monégasque par le représentant fiscal du maître d'ouvrage, la Chambre du conseil n'a pas justifié sa décision, et a méconnu les textes visés au moyen ;

3°) qu'en tout état de cause, en énonçant que serait crédible la version de l'inculpé, M. M. "sur le fait que m. P. serait le véritable bénéficiaire de l‘appartement monégasque et des deux villas en Italie et que ce dernier lui aurait ordonné d'établir des fausses factures portant exécution de travaux sur le chantier monégasque dont le paiement aurait été destiné au règlement des travaux en Italie, g. F. qui sert les intérêts de m. P. ayant été manifestement l'intermédiaire chargé de s'assurer de l'exécution de ces instructions" (Arrêt, p. 18), la Chambre du conseil n'a pas établi que les factures litigieuses avaient été établies à la demande ou au su de la partie civile, dont MM. P. et F. n'étaient nullement les représentants, ainsi que rappelé dans le mémoire de la partie civile ;

4°) qu'en outre, la Chambre du conseil ne pouvait tout à la fois retenir que M. F. aurait été le vecteur d'instructions données par la SCP C G. tout en constatant qu'il se défend lui-même d'avoir été avisé de l'affectation des fonds versés par la SCP C G. au paiement de travaux en Italie; qu'en l'état de cette contradiction, la décision n'est pas justifiée ;

5°) qu'en reprochant à la SCP C G.de ne pas expliciter le préjudice résultant de ces infractions, lorsque l'éventualité du préjudice causé par le faux suffit, et que le préjudice résulte "de l'usage même des documents fournis" ( C. Rév. , 2 mars 1994 ), selon la jurisprudence de la Cour de révision, la Chambre du conseil a fait une mauvaise application des textes visés au moyen »

et alors, selon le second moyen :

1°) « que constitue une escroquerie l'usage de faux nom ou de fausse qualité, soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, se sera fait remettre ou délivrer ou aura tenté de se faire remettre ou délivrer, notamment, des fonds ; que ce comportement peut se réaliser sous la forme d'un usage de faux au sens de l' article 95 du Code pénal ; qu'en constatant l'existence de manœuvres dolosives consistant "tant pour p. M. que pour p. F. d'avoir établi des fausses factures et d'en avoir fait usage, ces dernières ayant été présentées à la SCP C G. afin que cette dernière leur remette les fonds [et que] ces derniers avaient bien conscience de la fausseté des factures qu'ils établissaient dans la mesure où ils savaient qu'elles portaient sur des travaux fictifs", tout en écartant l'existence de charges d'avoir commis des faits d'escroquerie, la Chambre du conseil n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;

2°) qu'en ne retenant, au titre des manœuvres frauduleuses, que l'émission de fausses factures, sans répondre au mémoire de la partie civile qui faisait valoir que "l'application de la TVA monégasque sur les factures litigieuses, censée s'appliquer à des prestations réalisées en Principauté, a donné force et crédit à la réalité des travaux au sein de l'appartement monégasque et ainsi déterminé la SCP C. à s'acquitter de la totalité desdites factures" (Mémoire, p. 17), la Chambre du conseil s'est prononcée par des motifs insuffisants à écarter toute charge de commission d'une escroquerie ;

3°) qu'en relevant que "l'escroquerie n'est constituée que si les manœuvres frauduleuses sont utilisées pour persuader la victime de quelque chose d'inexact", lorsqu'elle constatait que les factures étaient "fausses" car les travaux facturés n'avaient pas été réalisés, ce qui suffisait à caractériser l'élément intentionnel, la Chambre du conseil n'a pas justifié sa décision et de nouveau violé les articles visés au moyen ;

4°) que l'escroquerie est réalisée dès lors qu'il existe un lien de causalité entre les manœuvres et la remise des fonds ; qu'en relevant, pour écarter l'existence de charges, que "la SCP C G. a bien réglé les factures litigieuses portant exécution des travaux alors même qu'elle avait connaissance que l'appartement monégasque était à nu", la Chambre du conseil, qui relevait par ailleurs que la présentation de fausses factures l'avait conduite à régler les sommes sollicitées mais non investies dans les travaux de l'appartement situé à Monaco, s'est prononcée par des motifs inopérants » ;

Mais attendu d'une part, qu'après avoir relevé que M. M. soutenait avoir établi ces fausses factures à la demande expresse de M. m. P. véritable propriétaire de l'appartement à Monaco et des deux villas en Italie au travers de prête-noms et avoir informé la SCP C G.de la destination des fonds versés, l'arrêt retient que les éléments recueillis au cours de l'information rendaient crédible la version selon laquelle M. P. aurait ordonné d'établir des fausses factures portant exécution de travaux sur le chantier monégasque dont le paiement était en réalité destiné aux travaux en Italie, que les rapports d'expertise comptable produits par M. M. attestaient de l'utilisation de ces fonds pour le financement desdits travaux en Italie ; que les juges en déduisent qu'il n'existe pas de charges suffisantes établissant que MM. M.et F. aient établi ces fausses factures avec la conscience de nuire à la SCP C G. laquelle au demeurant n'explicite pas le préjudice en résultant pour elle ;

Que, d'autre part, l'arrêt relève qu'il résulte de la procédure d'information que la SCP C G. a bien réglé les factures litigieuses alors même qu'elle connaissait l'état d'avancement des travaux de l'appartement monégasque, demeuré à nu, excluant ainsi tout élément intentionnel de l'infraction d'escroquerie ;

Qu'en l'état de ces énonciations, la chambre du conseil, répondant aux conclusions prétendument délaissées, a justifié sa décision dès lors qu'elle a souverainement apprécié, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, l'absence de charges justifiant le renvoi de MM. M.et F. des chefs de faux en écriture privée, de commerce ou de banque, d'usage desdits faux et d'escroqueries ;

PAR CES MOTIFS,

Déclare le pourvoi recevable,

Le rejette,

Condamne la SCP C G. aux frais ;

Ainsi jugé et rendu le vingt janvier deux mille vingt-deux, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Messieurs François CACHELOT, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Jacques RAYBAUD, Conseiller, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Et Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, a signé avec Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef, Le Premier Président.


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