LégiMonaco - Tribunal Suprême -
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Tribunal Suprême

Monaco

19 décembre 1989

Sieur A. D.

Contentieux Administratif

Abstract

             
  Fonctionnaires et agents publics
  Fonctionnaires - Discipline - Révocation - Garanties - Respect des droits de la défense - Conseil de discipline - Avis - Notification à l'intéressé et motivation obligatoires -
  Droits et obligations - Rémunération - Règle du service fait -
  Procédure
  Principe du respect des droits de la défense - Moyen d'ordre public -
  Recours pour excès de pouvoir
  Recevabilité - Acte préparatoire - Décision insusceptible de recours contentieux -
  Violation de la loi - Absence de contrôle de l'adéquation de la sanction à la faute - Erreur manifeste d'appréciation non établie -
  Compétence
  Injonctions aux autorités administratives - Incompétence du Tribunal Suprême -

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en Assemblée Plénière,

Vu la requête présentée par le sieur A. D., demeurant [adresse], ladite requête enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 13 décembre 1988 et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême d'annuler l' Ordonnance Souveraine n° 9621 du 11 octobre 1988 par laquelle il a été révoqué de ses fonctions d'agent de la Sûreté Publique, et, en tant que de besoin, la décision prise la décision prise par le Conseil de Gouvernement ainsi que l'avis émis par le Conseil de discipline ;

Ce faisant, attendu que par arrêté ministériel du 10 août 1988 , l'exposant a été cité à comparaître le 29 septembre 1988 devant le conseil de discipline ; qu'il lui était reproché un abandon de poste, le 2 mai 1988, alors qu'il s'est borné à aller au devant de celui qui le remplaçait, au lieu de l'attendre sur place ; qu'à titre subsidiaire il lui était également reproché d'avoir :

- le 26 novembre 1985, emprunté un sens interdit, alors qu'il conduisait son véhicule personnel ; faute, en l'espèce, sans rapport avec le service ;

- le 17 novembre 1986, en un comportement agressif envers un automobiliste, auteur d'un accident touchant un de ses proches, alors qu'il n'était pas en service ;

- le 12 janvier 1987, fait preuve d'une totale passivité et d'une indifférence manifeste aux difficultés du trafic qu'il était chargé de régler ; griefs seulement présumés à travers des déclarations faites sur ondes radio ;

- le 7 février 1987, abandonné son poste, alors qu'il était seulement allé boire un café ; traduit devant le conseil de discipline, il a été sanctionné par une exclusion de 15 jours ;

Qu'à la suite d'autres griefs analogues, il a été traduit une seconde fois devant le conseil de discipline et frappé d'une mesure de révocation par une ordonnance dont il n'a pas reçu notification et qu'il sait ne pas être motivée ;

Qu'aucun des griefs articulés contre lui n'est fondé ni ne constitue une faute de service et ne saurait entraîner une telle sanction ; qu'on ne saurait l'accuser d'inaptitude alors qu'il a reçu des félicitations lors de plusieurs arrestations périlleuses ; que, d'ailleurs, les sanctions antérieures relèvent des niveaux les plus bas ; que la plupart des faits retenus sont sans rapport avec le service ; qu'ainsi, la mesure de révocation prise contre lui doit être annulée, au moins parce que disproportionnée par rapport aux faits reprochés et entachée de nullité parce que non motivée ;

Ordonner la réintégration du sieur D. dans ses fonctions avec reconstitution de carrière, paiement de la solde qu'il aurait dû recevoir et une indemnité d'un franc symbolique pour préjudice moral ;

Vu l'ordonnance, la décision et l'avis attaqués ;

Vu la contre-requête présentée pour le Ministre d'Etat, ladite contre-requête enregistrée comme ci-dessus le 18 février 1989 et tendant au rejet de la requête par les motifs que :

1) depuis novembre 1985, le sieur D. a fait preuve d'un comportement incompatible avec ses fonctions ; qu'en effet, dès le 2 novembre 1985, il manifestait une agressivité inadmissible à l'égard d'un automobiliste, et le 19 du même mois se permettait, étant en tenue, au volant de sa voiture, de circuler en sens interdit ; que ces fautes, liées au service, ont été sanctionnées par un avertissement ;

2) que le 2 août 1986, il récidivait, faisant preuve d'une agressivité inadmissible tant par la violence de ses actes que par celle de son langage ; qu'ayant appuyé ses violences en faisant état de sa qualité de « flic à Monaco » et proféré des menaces fondées sur cette qualité, il a manqué à l'obligation de réserve à laquelle il était tenu et a commis une faute se rattachant au service, faute dont il a été sanctionné par un blâme ;

3) que le 18 décembre 1986, étant chargé de régler la circulation à un carrefour, il s'est désintéressé complètement des graves perturbations du trafic malgré les injonctions qu'il a reçues deux fois par radio ; que cette faute a été sanctionnée par un blâme ;

4) que le 7 février 1987, effectuant une ronde avec un autre agent, il a abandonné ce poste pendant une demi-heure, ce qui lui a valu, après comparution devant le conseil de discipline, d'être suspendu pendant 15 jours ;

5) qu'à peine sorti du conseil de discipline, le sieur D. s'est adressé à un touriste de manière agressive et discourtoise, le 2 août 1987, puis a commis trois fautes de service consécutives, le 21 septembre, et que, réprimandé par son supérieur, il lui a répondu de façon inadmissible ; qu'enfin, le 2 mai 1988, il a une nouvelle fois abandonné son poste ; que l'ensemble de ces derniers faits, de même que son comportement général, ont conduit à le traduire devant le conseil de discipline qui a reconnu la gravité d'un tel comportement, a jugé le sieur D., à l'expérience, insusceptible d'amendement et a proposé que l'intéressé soit révoqué ; qu'il a été révoqué par Ordonnance Souveraine du 11 octobre 1988 dont l'annulation est demandée ; que la matérialité des faits n'est ni contestable ni sérieusement contestée ; que d'ailleurs, l'intéressé n'a formé aucun recours contre les sanctions dont il a été frappé ; que toutes sanctionnaient des fautes de service ou des fautes que l'intéressé a lui-même rattachées au service par son comportement ; qu'il en est de même des fautes commises le 2 août 1987 ou à des dates postérieures ; que l'ensemble du comportement de l'intéressé justifiait qu'une sanction sévère lui soit infligée ; qu'il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir apprécier l'adéquation d'une sanction aux fautes commises ; qu'en tout état de cause, le comportement répété du sieur D. depuis novembre 1985, la fréquence des incidents qu'il a créés, son agressivité et son absence de discipline comme de respect de la hiérarchie nécessitaient son élimination des cadres de police ;

Vu le mémoire complémentaire présenté pour le Ministre d'Etat, ensemble les nouvelles pièces produites, ledit mémoire et lesdites pièces enregistrées comme ci-dessus le 22 mai 1989 et tendant aux mêmes fins que la contre-requête par les mêmes moyens et, en outre, par les motifs que, contrairement à ce que soutient le sieur D., l'ordonnance le révoquant de ses fonctions n'avait pas à être motivée ; qu'au surplus, les modalités de publication et de notification de l'acte attaqué, étant postérieures à cet acte, sont sans influence sur sa légalité ;

Vu la note en date du 4 décembre 1989 par laquelle le Tribunal Suprême ordonne un complément d'instruction sur la question de savoir si le sieur D. a ou non reçu notification régulière de l'avis motivé du conseil de discipline, dans l'affirmative à quelle date ;

Vu le nouveau mémoire présenté par le Ministre d'Etat, ledit mémoire enregistré comme ci-dessus le 17 décembre 1989 et faisant connaître que le sieur D. n'a pas reçu notification de l'avis émis par le conseil de discipline ; que d'ailleurs, aucune disposition n'obligeait l'administration à faire cette notification, ni non plus, à motiver l'ordonnance de révocation ; qu'au surplus il n'a jamais été de tradition que les Princes de Monaco motivent leur décision ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la constitution ;

Vu la loi n° 975 du 12 juillet 1975 et l' ordonnance n° 6365 du 17 août 1978 prise pour son application ;

Vu l' ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 , modifiée ;

Ouï Monsieur Jean Mottin, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Cardix, avocat au barreau de Nice et Maître Piwnica, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation en France, dans leurs observations ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Siégeant et délibérant en matière administrative,

Décide

Sur le moyen tiré de ce qu'une partie des fautes retenues aurait déjà fait l'objet de sanctions :

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que la sanction dont le sieur D. demande l'annulation a été précédée d'un premier avertissement, suivi de deux blâmes et d'une suspension d'activité de quinze jours pour fautes commises dans le service ou rattachables au service ; que le sieur D. soutient que ces manquements à la discipline avaient déjà fait l'objet de sanctions et ne pouvaient plus, dès lors, être retenus à l'occasion d'autres griefs pour une nouvelle sanction ;

Considérant que, contrairement à ce que prétend le requérant, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire peut retenir des faits, qui ont servi de base à des sanctions antérieures, si ces faits font apparaître déjà une manière de servir incompatible avec l'exercice d'une fonction lorsque ce grief est invoqué pour la première fois contre l'intéressé à l'occasion de fautes postérieures ; qu'en l'espèce, les fautes nouvelles relevées contre le sieur D. établissent que l'intéressé a persisté dans une attitude envers ses supérieurs et un comportement dans le service qui ont légitimé une nouvelle sanction contre lui ; que n'ayant pas contesté les premières sanctions dans les délais du recours contentieux, l'intéressé n'est pas recevable à le faire à l'occasion du présent recours ;

Sur les autres moyens de légalité :

Considérant, d'une part, que l'avis émis par le conseil de discipline ne constitue pas une décision susceptible d'un recours contentieux et que les modalités de publication ou de notification d'un acte administratif sont sans effet sur sa régularité ;

Considérant, d'autre part, qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative de se prononcer sur l'importance d'une sanction par rapport aux fautes reprochées dès lors que la décision attaquée n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'en l'espèce aucune erreur de cette nature n'est établie ;

Mais considérant que les principes généraux du droit et, notamment, le respect des droits légitimes de la défense obligent l'autorité investie du pouvoir disciplinaire à faire connaître à l'intéressé les motifs de la sanction qu'elle est amenée à prendre contre lui ; que le sieur D. n'a pas reçu notification régulière de l'avis motivé du conseil de discipline qui s'est prononcé sur son cas ; que, dès lors, l' ordonnance du 11 octobre 1988 , le révoquant de ses fonctions manque de base légale et, par ce motif, doit être annulée ;

Sur les conclusions du sieur D. tendant à sa réintégration dans ses fonctions et à la reconstitution de sa carrière :

Considérant qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative d'adresser des injonctions à l'administration sur le rétablissement de la carrière d'un fonctionnaire ;

Qu'il convient de renvoyer l'intéressé devant l'administration pour qu'il soit statué sur ces conclusions de la requête ;

Sur les conclusions à fin d'indemnité :

Considérant qu'en l'absence de service fait le sieur D. n'est pas fondé à demander le paiement des salaires qu'il aurait perçus s'il n'avait pas été frappé de la sanction qui lui fait grief ; qu'il convient de le renvoyer devant l'administration pour qu'il soit statué sur cette demande ;

Considérant que, compte tenu de tout ce qui précède, le sieur D. n'est pas fondé à demander que lui soit allouée la somme d'un franc à titre d'indemnité en réparation du préjudice moral qu'il allègue ; qu'il convient, toutefois, de mettre les dépens à la charge de l'Etat ;

Décide :

Article 1er : - L'ordonnance n° 9261 du 11 octobre 1988 révoquant le sieur D. est annulée ;

Article 2 : - Le sieur D. est renvoyé devant l'administration pour qu'il soit statué sur sa situation administrative et sur l'indemnité à laquelle il serait susceptible de prétendre ;

Article 3 : - Les dépens sont mis à la charge de l'Etat ;

Article 4 : - Le surplus des conclusions de la requête est rejeté ;

Article 5 : - Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'Etat ;


Contentieux Administratif

NOTE1. - Engagé à la direction de la Sûreté Publique Monégasque le 17 septembre 1984 en qualité d'agent stagiaire et titularisé avec effet du 17 septembre 1985, M. D. a été révoqué de ses fonctions par ordonnance souveraine n° 9261 du 11 octobre 1989.Il est vrai qu'entre temps, sa courte carrière fut émaillée d'un nombre appréciable de sanctions disciplinaires : un avertissement dès le 26 novembre 1985, deux blâmes respectivement le 17 septembre 1986 et le 12 janvier 1987, une première comparution devant le conseil de discipline suivie d'une exclusion temporaire de fonctions pour une période de quinze jours, le 19 juin 1987, enfin, une seconde comparution devant le conseil de discipline pour abandon de poste le 2 mai 1988, précédé de plusieurs fautes de service relevées les 2 août et 21 septembre 1987.11.- M. D. n'a pas contesté la légalité des sanctions prises antérieurement à son encontre, mais il a, en revanche déféré au Tribunal Suprême l'ordonnance souveraine de révocation en soutenant essentiellement que certaines des fautes retenues avaient déjà été sanctionnées, qu'elles n'avaient causé aucun préjudice au service et que la révocation prononcée était disproportionnée par rapport à la gravité des fautes commises. Sa requête tendait en conséquence à l'annulation de l'ordonnance souveraine du 11 octobre 1988, « non motivée » et portant atteinte aux droits de la défense ; à l'annulation également de l'avis du conseil de discipline ; à ce que soient ordonnées sa réintégration et la reconstitution de sa carrière ; à la condamnation de l'Etat monégasque au paiement d'une indemnité pour la durée de son éviction du service, ainsi qu'au franc symbolique de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.III. - Par arrêt du 19 décembre 1989, le Tribunal Suprême, siégeant en Assemblée Plénière, a annulé l'ordonnance souveraine attaquée par application du principe général des droits de la défense, mais sur le fondement d'un moyen nouveau et relevé d'office. C'est là l'intérêt essentiel que présente cette décision, qui adopte d'autre part, pour rejeter les moyens et conclusions du requérant, des solutions déjà acquises en jurisprudence.IV. - Toutefois, préalablement à l'examen du fond, il n'est pas inutile de relever un point de procédure dont l'explication n'est pas évidente.A l'appui de sa requête introductive d'instance, seul mémoire qu'il ait soumis au Haut Tribunal, M. D. a produit vingt et une pièces, mais ni l'ordonnance attaquée, - dont il a soutenu qu'elle ne lui avait pas été notifiée en dépit d'un pli fermé qui lui fut remis contre signature par le Commandant du Corps urbain -, ni la copie d'une demande de communication de ladite ordonnance.Or, aux termes de l'article 17 de l'ordonnance n° 2984 du 16 avril 1963, modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, la requête doit être accompagnée de la décision attaquée ou de la réclamation implicitement rejetée et, par arrêt du 25 juin 1986 « L. », le Tribunal Suprême a déclaré irrecevable la requête à laquelle n'étaient pas jointes les décisions attaquées. Cette solution est conforme à celle du Conseil d'Etat français pour qui la production de la décision attaquée est prescrite à peine d'irrecevabilité du recours sauf dans le cas où le requérant se heurte à une impossibilité matérielle ou juridique pour l'obtenir (Cons. d'Etat 4 janv. 1957, M. : L., p. 10. - 18 nov. 1964, Ministre de la Construction c. d'H. : L., p. 561).V. - La question est dès lors de déterminer le motif pour lequel le Haut Tribunal n'a pas déclaré irrecevable la requête de M. D..Il est vrai que cette irrecevabilité n'a pas été soulevée par l'administration. On pourrait donc en déduire que la production de la décision déférée par un recours pour excès de pouvoir n'est pas une formalité substantielle dont l'omission constituerait un moyen d'ordre public. Mais cette explication se heurte à la constatation que la situation était exactement la même dans l'instance ayant abouti à l'arrêt précité « L. » du 25 juin 1986 dans laquelle l'administration n'avait pas davantage relevé l'absence aux débats de la décision attaquée. Le Tribunal Suprême avait donc retenu d'office cette irrecevabilité.Aussi bien, il est difficile d'admettre que le défaut de production de la décision individuelle faisant l'objet d'un recours en annulation ne soit pas constitutive d'une irrégularité substantielle de procédure. On voit mal, en effet, comment le juge administratif pourrait exercer son contrôle de légalité sur cette décision dont il ne serait pas juridiquement saisi, alors même que, comme en l'espèce, elle aurait fait l'objet d'une publication dans un organe officiel (Journal de Monaco, 21 oct. 1988). Ce caractère substantiel paraît d'ailleurs attesté par la jurisprudence du Conseil d'Etat qui autorise la production de la décision litigieuse en cours d'instance (Cons. d'Etat 23 juill. 1937, Ville de Royan : D. 1938, 3, 61 et la note. - 23 nov. 1949, G. : Lebon, p. 497).VI. - En réalité, la réponse à la question posée ne met nullement en cause le caractère d'ordre public de la production dont s'agit.Le silence de l'arrêt commenté sur l'absence aux débats de l'ordonnance souveraine du 11 octobre 1989 tient à ce que la teneur de celle-ci était indifférente à la décision à intervenir. Le Tribunal Suprême a été, en effet, en mesure de juger que la sanction infligée à M. D. avait été prise en suite d'une procédure administrative entachée de nullité, ce qui entraînait inéluctablement celle de l'ordonnance souveraine attaquée.La position ainsi adoptée par le Haut Tribunal lui a permis, sans remettre en cause le précédent jurisprudentiel, de faire application d'office du principe général des droits de la défense, dans une matière nouvelle en droit monégasque mais exclue du champ d'application de ce principe en droit administratif français.VII. - L'affaire ayant été inscrite au rôle et étant venue à l'audience sans que les parties aient déposé de mémoire en réplique ou en duplique, le Tribunal Suprême a, en cours de délibéré, ordonné une mesure d'instruction. Celle-ci portait sur la question de savoir si M. D. avait reçu ou non notification régulière de l'avis motivé du conseil de discipline.En réponse, l'administration a produit une note précisant que l'avis émis par le conseil de discipline n'avait pas été notifié au requérant. Elle observait à cet égard qu'aucune disposition de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'Etat, ni de l'ordonnance souveraine n° 6365 du 17 août 1978 fixant les conditions d'application de cette loi, n'exigent la notification au fonctionnaire traduit devant le conseil de discipline du texte de l'avis émis par celui-ci.La note en délibéré faisait encore valoir que « le législateur qui a précisé l'ensemble des règles de la procédure disciplinaire en veillant au respect des droits de la défense n'a pas cru devoir exiger que soit notifiée la motivation de l'avis du conseil de discipline ».Et elle en concluait : « Il serait donc surprenant que le Tribunal Suprême fasse, de lui-même, peser sur l'administration une telle obligation » ...C'est cependant ce qu'il a fait.VIII. - Le motif de l'arrêt qui retient l'irrégularité de la procédure disciplinaire est particulièrement net :considérant que les principes généraux du droit et, notamment, le respect des droits légitimes de la défense obligent l'autorité investie du pouvoir disciplinaire à faire connaître à l'intéressé les motifs de la sanction qu'elle est amenée à prendre contre lui ; que le sieur D. n'a pas reçu notification régulière de l'avis motivé du conseil de discipline qui s'est prononcé sur son cas ; que dès lors, l'ordonnance du 11 octobre 1988, le révoquant de ses fonctions, manque de base légale et, par ce motif, doit être annulée ».Le Tribunal Suprême avait fait, pour la première fois, application du principe des droits de la défense dans un arrêt du 4 décembre 1974 (B., note P. W.) ainsi que le constatait le Professeur W. dans son commentaire sur cet arrêt. Mais il convient de souligner que la consécration explicite de ce principe à Monaco par l'arrêt du 19 décembre 1989, revêt une force particulière puisque le Haut Tribunal s'écarte délibérément de la jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière et ce, à un double titre, d'une part, en appliquant le principe des droits de la défense à l'absence de notification aux fonctionnaires intéressés de l'avis du Conseil de discipline les concernant ; d'autre part, en érigeant ce moyen en moyen d'ordre public que le juge doit retenir d'office.IX. - Tout d'abord, l'opposition des jurisprudences monégasque et française sur le point considéré est patente.Après un premier arrêt énonçant que l'absence de notification de l'avis du conseil de discipline au fonctionnaire concerné ne méconnaissait pas les droits de la défense (Cons. d'Etat 11 mars 1949, O. : L., p. 122), la Haute Assemblée a confirmé sa position par un arrêt d'Assemblée (Cons. d'Etat 5 juin 1959, S. : L., p. 346), en des termes définitifs :en l'absence de disposition législative ou réglementaire prévoyant la communication à l'intéressé de l'avis du conseil de discipline avant l'intervention de la décision qui a prononcé la mesure disciplinaire contestée, le défaut de communication au sieur S. dudit avis n'a pas été de nature à entacher d'illégalité le décret attaqué ».X. - Une telle prise de position peut surprendre a priori, de la part d'une juridiction qui est à l'origine de la reconnaissance du principe général des droits de la défense comme norme juridique de valeur législative (Cf. O., Les droits de la défense, Etudes et Documents 1953, p. 55 s. - Auby et Drago, Traité de Contentieux administratif, t. II. n° 1131 s. - Chapus, Droit du Contentieux Administratif, 2e éd. p. 103 s.- Vedel et Delvolvé, Droit Administratif, 8e éd. p. 390 s., 786).Pour se limiter au domaine du contentieux disciplinaire, il convient en effet de rappeler que dès 1936, le Conseil d'Etat exigeait qu'avant l'intervention d'une mesure prise en considération de la personne, celle-ci soit avertie de cette éventualité et mise à même de se défendre et ce, même en l'absence de texte ou lorsque celui-ci est douteux (Cons. d'Etat 17 juin 1936, G. : Lebon, p. 659). Cette jurisprudence ne s'est jamais démentie (Cons. d'Etat 3 déc. 1947, delle R.  , req. 72543. - Cons. d'Etat 9 déc. 1955, G. : Lebon, p. 585. - Cons. d'Etat 28 nov. 1962, P. : Lebon, Tables, p. 637. - Cons. d'Etat 16 janv. 1976, G. : Lebon, p. 39. - Ass. 31 oct. 1980, Féd. Nat. Unions Jeunes Avocats : Lebon, p. 394), mais a, au contraire, étendu son champ d'application aux garanties qui doivent être accordées aux particuliers (Cons. d'Etat 5 mai 1944, Vve T.-G. : Lebon, p. 133).XI. - Or, il est assuré que la connaissance des motifs qui fondent l'avis du conseil de discipline (ou de la commission administrative paritaire qui lui est substituée) est essentielle à la défense du fonctionnaire concerné. D'une part, elle lui permet de s'assurer que les griefs dont le conseil de discipline a eu à connaître sont ceux-là même qui lui ont été reprochés à l'exclusion de tout autre ; d'autre part, en l'absence de motivation de la décision de sanction, il peut considérer que l'autorité disciplinaire a adopté les motifs énoncés par le conseil de discipline et en tirer des conséquences sur le plan juridique.Dans ces conditions et sauf à imputer de l'incohérence à la jurisprudence de la Haute Assemblée, il y a lieu de rechercher la raison qui l'a conduite à exclure des droits de la défense l'obligation pour l'administration de notifier à l'intéressé l'avis motivé du conseil de discipline le concernant.XII. - C'est sans doute dans la politique jurisprudentielle du Conseil d'Etat que réside l'explication de cette exclusion. De fait, si la jurisprudence administrative n'hésite pas à soumettre l'administration à des contraintes, celles-ci ne sont toutefois édictées par le juge que lorsqu'elles sont inéluctables et bien évidemment, lorsqu'elles ne sont pas, fût-ce implicitement, écartées par un texte de valeur législative. L'application du célèbre article 62 de la loi du 22 avril 1905 relatif à la communication du dossier individuel des fonctionnaires en fournit un exemple probant.Selon ce texte, repris dans les statuts successifs de la fonction publique (Cf. L. n° 83-634 portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 19) et qui est devenu un principe général de droit administratif (Cons. d'Etat 22 mai 1946, M. : J.C.P. 47, II, 3403), l'administration doit informer le fonctionnaire objet d'une poursuite disciplinaire de son droit à la communication de son dossier. Le Conseil d'Etat en a déduit qu'il appartenait à l'intéressé de demander cette communication et que s'il s'abstenait de le faire, la non-communication ne viciait pas la procédure (Cons. d'Etat 23 oct. 1935, dame R. : Lebon, p. 970. - Cons. d'Etat 13 mai 1959, B. : Lebon, p. 307.- S. 23 juin 1967, Mirambeau : Lebon, p. 272).Il en va de même en ce qui concerne les avis des conseils de discipline. C'est ce que précise un arrêt déjà ancien mais qui n'a jamais été contredit, selon lequel :un fonctionnaire qui reconnaît n'avoir pas demandé communication de l'avis émis par la commission d'enquête n'est pas fondé à se plaindre de n'avoir pas reçu cette communication. » (Cons. d'Etat 23 mars 1933, Le T.-N.. : Lebon, p. 346).Cette décision reconnaît ainsi implicitement mais nécessairement aux fonctionnaires, le droit d'avoir connaissance des avis des conseils de discipline les concernant, mais dispense l'administration de les leur communiquer d'office.Le droit monégasque a opté pour une solution inverse par l'arrêt du 19 décembre 1989.XIIII. - Les dispositions législatives et réglementaires relatives au contentieux disciplinaire de la fonction publique sont cependant similaires dans les deux Etats.Comme en droit français (supra § 12), le statut des fonctionnaires de l'Etat (L. n. 975, 12 juill. 1975, art. 13) institue un dossier individuel dont le fonctionnaire a non seulement le droit de recevoir la communication personnelle et confidentielle avant l'intervention de certaines sanctions disciplinaires, mais de surcroît, il doit être mis en demeure de prendre connaissance dudit dossier (art. 146), cette mise en demeure incombe nécessairement à l'administration.Il est dès lors possible que ce soit cette disposition propre à la législation monégasque qui ait incité le Tribunal Suprême à exiger en outre de l'administration la notification aux intéressés de l'avis du conseil de discipline.XIV. - La mise en œuvre en l'occurrence par le Haut Tribunal du principe général des droits de la défense s'écarte encore du droit français, en ce que cette application a eu lieu d'office sans que le moyen ait été invoqué par M. D.. Si celui-ci a bien conclu à l'annulation de la sanction qui lui avait été infligée par référence aux droits de la défense, c'est uniquement parce qu'il estimait que ceux-ci avaient été méconnus à raison de la disproportion existant selon lui entre les griefs qui lui étaient reprochés et la gravité de la sanction prononcée. Mais il n'a aucunement contesté la régularité de la procédure suivie.Ainsi, le Tribunal Suprême a considéré que la violation des droits de la défense pour défaut de notification de l'avis du conseil de discipline revêtait un caractère d'ordre public, alors que le Conseil d'Etat exclut cette qualification, notamment en cas de non respect de la règle de communication du dossier (Cons. d'Etat 23 avril 1965, Dame Vve  D. : J.C.P. 65, II, 14412 et la note Durand-Prinbargro. - 8 fév. 1980, dame E. : Dr. adm. 1980, n° 93. - 29 mars 1985, Comm. d'Ermont : Dr. adm. 1985, n° 242).Cette divergence entre les jurisprudences monégasque et française est l'indice du caractère absolu que le Tribunal Suprême entend attacher au respect des droits de la défense dans le contentieux disciplinaire de la fonction publique, en opposition à l'application parfois restrictive de ce principe par le juge administratif français.XV. - Indépendamment de cette décision de principe novatrice, l'arrêt commenté présente un panorama assez étendu des questions les plus communes du contentieux disciplinaire. Il suffira donc de les énumérer avec la référence aux solutions jurisprudentielles qu'elles ont reçues en droit administratif monégasque et français.XVI. - Le Tribunal Suprême écarte tout d'abord le moyen pris de ce qu'une partie des fautes retenues aurait déjà fait l'objet de sanctions. L'arrêt répond que des faits déjà sanctionnés peuvent l'être à nouveau s'ils font apparaître un grief invoqué pour la première fois contre l'intéressé à l'occasion de fautes postérieures, ce qui est conforme à la jurisprudence française (Odent, Contentieux Administratif, 1978, p. 2107 s.- Cons. d'Etat, S, 15 fév. 1963, dame L. : Lebon, p. 97.- Cons. d'Etat 5 déc. 1980, B. : Lebon, Tables, p. 777).XVII. - De même, les conclusions d'annulation dirigées contre l'avis du conseil de discipline sont déclarées irrecevables, cet avis ne constituant qu'un acte préparatoire et non une décision faisant grief (Trib. Sup. 27 juin 1978, delle S., note G. Védel. - Auby et Drago, op. cit. n° 1101 et la jurisprudence citée).XVIII. - Le moyen pris par M. D. d'une disproportion certaine entre les faits reprochés et la sanction infligée ne pouvait qu'être rejetée, dès lors que le juge de l'excès de pouvoir n'exerce qu'un contrôle restreint sur le degré de gravité de la sanction disciplinaire infligée à un fonctionnaire (Cons. d'Etat, S, 9 juin 1978 : Lebon, p. 245), hors le cas où celle-ci témoigne d'une erreur manifeste d'appréciation (Cons. d'Etat 26 juill. 1978, V. : Lebon, p. 315. - 4 mai 1983, Min. Economie et Finances : Lebon, p. 174. - Cf. Trib. Sup. 5 déc. 1960, Sté financière et bancaire de Monte Carlo). Le Tribunal Suprême adopte en l'occurrence cette jurisprudence, qu'il applique pour la première fois au contentieux disciplinaire, mais il avait antérieurement refusé d'annuler un refus de permis de construire dont il estimait qu'il n'était pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation (Trib. Sup. 3 fév. 1972, B., note W.).XIX. - Le requérant ayant encore demandé que le Tribunal Suprême ordonne sa réintégration dans ses fonctions et la reconstitution de sa carrière, il lui a été répondu qu'aucune disposition des articles 89 à 92 de la Constitution n'attribue compétence au Haut Tribunal pour adresser des injonctions aux autorités administratives (Trib. Sup. 10 fév. 1982, A.) et celui-ci l'a renvoyé devant l'administration pour qu'il soit statué sur ses prétentions.XX. - Enfin, la demande de paiement des salaires qu'il aurait perçus s'il n'avait pas été frappé de la sanction qui lui faisait grief se heurtait, comme l'a énoncé le Tribunal Suprême, au principe de la rémunération des fonctionnaires après « service fait » (Loi monégasque n° 975, 12 juill. 1975, art. 30 ; loi française n° 83-634, 13 juill. 1983, art. 20 ; L. n° 84-16, 11 janv. 1984, art. 64. - Cons. d'Etat, S. 3 oct. 1980, Min. Education : Lebon, p. 351. - Cons. d'Etat 17 mars 1976, M., req. 99883 : Lebon, Tables, 1975-84, p. 3728).G. H. George Avocat honoraire au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation