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Tribunal Suprême

Monaco

10 décembre 1948

Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à Monaco (1).

Contentieux Administratif

Abstract

             
  Droits et libertés constitutionnels
  Droit de propriété - restriction - ordre public et circonstances économiques ou sociales - compatibilité avec le principe d'inviolabilité - restriction temporaire et exceptionnelle.

Le Tribunal Suprême

Vu la requête introductive d'instance en date du 15 septembre 1948, tendant à l'annulation de la loi n° 485, prorogeant les dispositions de la loi n° 424, et ce, pour violation flagrante et formelle de l'article 9 de la Constitution ;

Vu le mémoire en réponse en date du 7 octobre 1948, présenté au nom de Son Excellence Monsieur le Ministre d'État et tendant au rejet de ladite requête ;

Ouï en son rapport M. René Barjot, Membre du Tribunal Suprême ;

Ouï Me Marcilhacy et Me Fourcade, tous deux autorisés à présenter des observations orales à l'appui des mémoires susvisés déposés au nom de la Société des Bains de Mer et de Son Excellence M. le Ministre d'État ;

Ouï M. le Procureur Général Portanier en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à Monaco poursuit l'annulation de la loi n° 485 prorogeant, pour une durée de six mois, l'application des dispositions de la loi n° 424, aux termes de laquelle aucun immeuble à usage d'hôtel ne pourra être transformé, même par reconstruction ou agrandissement, en appartements à usage d'habitation ou en locaux à un autre usage commercial ou industriel, tous les éléments matériels et incorporels servant à l'exploitation du fonds devant, jusqu'à l'expiration du même délai, être maintenus en place dans leur intégralité et en bon état ; qu'elle soutient que la loi n° 424 en restreignant d'une manière abusive l'exercice du droit d'usage, qui est l'un des éléments essentiels du droit de propriété, a méconnu les dispositions de l'article 9 de la Constitution monégasque, qui en garantit l'inviolabilité ;

Mais considérant que cette garantie ne saurait mettre obstacle à ce que certaines restrictions au plein exercice de ce droit y soient apportées dans l'intérêt de l'ordre public ou de la chose publique, ou en raison des circonstances économiques ou sociales qui l'exigent ;

Considérant qu'il appartient au Tribunal Suprême, juge de la constitutionnalité des lois, d'apprécier si les atteintes apportées au droit de propriété pour les motifs ci-dessus rappelés, sont compatibles avec le principe d'inviolabilité garanti par la Constitution ;

Considérant qu'en stabilisant pour une période limitée les éléments des fonds de commerce d'hôtellerie et en interdisant aux propriétaires la transformation des immeubles dans lesquels ils sont exploités, en locaux d'habitation, sur la constatation que le maintien de cette industrie est indispensable à la prospérité de la Principauté, qui retire du tourisme une part importante de ses ressources indispensables, la loi n° 424 s'est inspirée d'un motif légitime présentant un caractère d'intérêt général ;

que d'ailleurs, si la restriction temporaire, qu'elle a créée par cette disposition exceptionnelle, a pour effet de limiter l'usage et la disposition des immeubles affectés à l'exploitation hôtelière, elle n'entraîne nullement la privation de droits dont la protection est assurée par le texte constitutionnel invoqué à l'appui de la requête ;

Par ces motifs :

Rejette la requête de la Société des Bains de Mer ;

La condamne aux dépens.


Contentieux Administratif

(1) V. la note ci-après et voir aussi la note publiée après la décision du 19 octobre 1949.

NOTE commune aux deux décisions du 9 décembre et à celle du 10 décembre 1948 (D. 1949, 353).Les trois arrêts ci-dessus rapportés émanent d'une juridiction d'un type assez rare. Le Tribunal suprême de Monaco, assure, aux termes de la Constitution monégasque du 5 janvier 1911 et de l'ordonnance souveraine du 21 avril 1911, un contrôle juridictionnel de constitutionnalité qui ne se retrouve, aussi étendu, dans aucun pays d'Europe. S'il n'y a pas lieu de présenter ici une analyse complète de cette institution, qui est parfaitement étudiée dans la thèse de J. M. Crovetto, Le Tribunal suprême de la principauté de Monaco, Paris, 1935 (où les textes précités sont reproduits en annexes), il est du moins intéressant de préciser sa compétence et sa procédure à l'occasion des arrêts rapportés. Cette analyse, outre les informations qu'elle donne sur une juridiction peu connue, permet d'intéressantes comparaisons avec la jurisprudence de notre Conseil d'État.1. - L'espèce Levame est intervenue dans des circonstances de fait qui correspondent aussi exactement que possible à l'espèce Truitard, jugée par le Conseil d'État (sect.) le 3 mai 1946 (Rec. Cons. d'État, p. 124). Il s'agissait en bref d'un fonctionnaire qui avait été invité à remettre sa démission, à la suite de faits se rapportant à la période d'occupation. Démission acceptée, et suivie d'une décision liquidant régulièrement la pension. Après la libération, et divers incidents, une décision rapporte la mise à la retraite et prononce la révocation du requérant. Notre Conseil d'État a vu dans cette seconde décision une décision de retrait, et c'est à ce titre qu'il en prononce l'annulation dans l'arrêt Truitard précité : « Considérant qu'il n'est pas établi ni même allégué que le décret (de 1943) qui a admis le sieur T... à la retraite ait été entaché d'un vice de nature à entraîner l'annulation pour excès de pouvoir ; que, dès lors, c'est illégalement que (le décret de 1945) l'a rapporté ». C'est l'application de la jurisprudence déjà fixée par Cons. d'État 12 juin 1936, Kremer (D. P. 1936, 3, 53, concl. Lagrange). D'après cette jurisprudence, on peut dire que le retrait non justifié par l'illégalité de l'acte primitif (et, éventuellement, par la considération du délai d'ouverture du recours pour excès de pouvoir) est en lui-même illégal. Dans un arrêt Dame Tétaud, du 5 janv. 1944 (Rec. Cons. d'État p. 1) le Conseil d'État prenait la peine de relever, d'ailleurs bien vaguement, que la décision retirée était une « décision créatrice de droits », mais cette considération n'est pas mentionnée dans l'arrêt Truitard, où il paraît bien que la jurisprudence du retrait sanctionne l'illégalité du retrait, et non l'atteinte à un droit quelconque du requérant, en dehors de son droit à la légalité. - Il n'en est plus du tout de même dans la présente espèce. Ce ne doit pas être sans raison que le Tribunal suprême de Monaco n'a pas employé dans ses considérants les formules qui se retrouvent dans les arrêts intervenus en matière de retrait et qu'il a mis au contraire l'accent sur le caractère de « droit patrimonial » d'une pension de retraite régulièrement concédée. Sans doute a-t-il voulu marquer par là une différence opposant le recours pour excès de pouvoir, recours objectif, et le recours porté devant lui pour garantir en l'espèce le droit de propriété, proclamé par le titre II de la Constitution monégasque. Il faut observer en effet qu'il n'existe pas à Monaco de juge administratif, et si le Tribunal suprême s'engageait dans la défense de la légalité ou de la constitutionnalité objective, il ne tarderait pas à perdre son caractère propre pour devenir un juge administratif. Le souci de ce Tribunal de se tenir dans sa compétence constitutionnelle paraît bien évident lorsqu'il se reconnaît compétent, en l'espèce, au seul titre de l'atteinte à un droit patrimonial, en refusant expressément de connaître des règles administratives de la fonction publique, et lorsqu'il se prononce sur le fond en invoquant exclusivement l'atteinte au droit de propriété, sans vouloir retenir l'application des règles administratives concernant la privation de la pension, et sans se rattacher à la jurisprudence française sur les retraits. Ainsi donc, le rapprochement de la présente espèce et de l'arrêt Truitard révèle, à travers une identité apparente dans les faits et dans les solutions admises, la différence des deux recours : il interdit d'assimiler ce juge de la constitutionnalité à un juge administratif, comme on a voulu le faire (Monnié, La situation internationale de la principauté de Monaco, thèse, Montpellier, 1913, p. 318). Cette position est d'ailleurs conforme aux caractères de la procédure devant le Tribunal suprême, où l'on trouve des parties en cause, et elle confirme la distinction des motifs administratifs et des motifs constitutionnels que ce haut Tribunal avait déjà marquée dans une décision du 18 avril 1931, Chiabaud (V. sur ces points, Crovetto, op. cit., notamment n. 33, 36, 42 et s., 97).Il est à peine besoin de signaler le considérant relatif aux actes de gouvernement, puisque le Tribunal suprême se borne à préciser qu'il se trouve en présence d'un acte relevant de l'administration intérieure de l'État. Dans la décision Chiabaut, précitée, le Tribunal suprême s'était davantage avancé en se ralliant à la jurisprudence française sur les actes de gouvernement ; il avait précisé que « le caractère d'un acte intéressant les relations internationales de l'État monégasque... aurait pour effet de soustraire cet acte à (sa) compétence » (Crovetto, op. cit., n° 39). Mais il est intéressant de signaler le dispositif de la décision qui annule l'ordonnance attaquée « et ce qui en a été la suite ». Il faut d'abord noter que cette décision est la première, depuis l'installation du Tribunal suprême, qui, admettant une requête, prononce l'annulation de l'acte attaqué. Ce faisant, la présente décision applique littéralement l'art. 25 de l'ordonnance du 21 avril 1911, ainsi conçu : « Lorsque le recours est admis, le Tribunal suprême, autant qu'il est possible, annule les actes et mesures qui l'ont motivé et ce qui en a été la suite. » La portée de cet article, qui paraît pouvoir être précisée ainsi qu'il suit, affirme les différences qui existent entre ce recours pour inconstitutionnalité et le recours pour excès de pouvoir :1° Le Tribunal suprême jouit d'abord d'un pouvoir d'appréciation pour prononcer l'annulation, puisqu'il prononce cette annulation « autant qu'il est possible ». Ce pouvoir d'appréciation prend tout son sens si l'on tient compte du caractère non suspensif du recours (V. Ord. précitée, art. 24) :le Tribunal suprême ne doit donc prononcer l'annulation que s'il lui paraît juridiquement possible de revenir sur ce qui a été fait.2° Le Tribunal suprême peut prononcer une annulation extensive, puisque celle-ci porte non seulement sur l'acte qui a motivé le recours, mais aussi, ce qui est plus large, sur « les mesures », et, surtout, sur « ce qui en a été la suite ». Formule curieuse, qui paraît susceptible d'entraîner des annulations en cascade, si celles-ci sont nécessaires pour remettre les choses en l'état antérieur.3° Quelque étendus et souples que soient ainsi les pouvoirs du juge de la constitutionnalité, notons toutefois qu'ils se bornent à l'annulation : la rétractation et ses suites ne peuvent être le fait que de l'autorité compétente. Mais comme « le Tribunal est seul compétent pour statuer sur les difficultés qui s'élèveraient au sujet de l'exécution de ses décisions » (Ord. précitée, art. 28), il possède un pouvoir de surveillance très fort pour assurer le respect de ses décisions par les autorités qui ont donné prise à son contrôle.II. - La décision rendue sur la seconde espèce (Oser) oppose au requérant la fin de non-recevoir fondée sur l'expiration du délai de deux mois prévu par l'ordonnance du 21 avril 1911, article 11, précitée, pour introduire la requête. Il s'agissait en l'espèce d'un arrêté d'expulsion, régulièrement notifié, mais dont l'application avait été suspendue. L'intéressé avait formé son recours dans les deux mois suivant cette application, mais le Tribunal suprême a jugé que cette mesure d'exécution ne pouvait avoir pour effet de remettre en vigueur le délai compté à partir de la notification, qui était alors expiré.Cette décision paraît sévère, aussi bien à l'égard de la procédure suivie devant le Tribunal suprême que des règles admises par la jurisprudence française du Conseil d'État.1° En ce qui concerne d'abord la procédure devant le Tribunal suprême, l'ordonnance précitée du 21 avril 1911 fixe dans son article 11 le délai de formation du recours à deux mois « à partir du jour où a eu lieu le fait sur lequel il est fondé ». On peut faire des réserves sur cette rédaction, et préférer la formule plus précise que donne, en France, l'article 49 de l'ordonnance du 31 juillet 1945 sur le Conseil d'État (D. 1945, 197), pour lequel « ce délai court de la date de la publication (ou de la notification ou signification) de la décision attaquée » ; il n'en est pas moins vrai que le texte est formel. Il paraîtrait à première vue raisonnable d'admettre que les droits et libertés (que le Tribunal suprême doit garantir) sont au moins aussi « atteints » (Constitution, art. 14) par « le fait » de l'expulsion que par la notification d'une décision d'expulsion demeurée inappliquée. Cette interprétation paraissait s'imposer d'autant plus que la mention du « fait », dans l'article 11 précité, s'accorde parfaitement avec la compétence du Tribunal suprême, qui porte non seulement sur « les actes », mais aussi sur « les mesures », « et ce qui en a été la suite », d'après les articles 24 et 25 de la même ordonnance du 21 avril 1911, comme on l'a vu à propos de la 1re espèce. - Ces considérations n'ont pas déterminé le Tribunal suprême, qui s'en est tenu à l'application rigoureuse de la déchéance prévue par l'article 11, comme il l'avait fait déjà dans une décision Blengino, du 30 mai 1928, déclarant non recevable le recours formé « plus de deux mois après la connaissance acquise par (le requérant) de l'acte attaqué », - mais il faut dire que les circonstances de cette ancienne espèce ne présentaient pas la particularité d'une décision maintenue inappliquée pendant tout le délai du recours.2° La rigueur de cette forclusion s'accentue encore si l'on compare la décision Oser et la jurisprudence française du Conseil d'État en matière de délais. Tous les auteurs s'accordent à reconnaître le caractère libéral de cette jurisprudence, et à l'approuver sans réserve (V. Alibert, Le contrôle juridictionnel de l'Administration, 1926, p. 152. - M. Hauriou, Précis de droit admin., 12e éd., par André Hauriou, 1933, p. 430. - Walline, Manuel élém. de droit admin., 4e éd., 1946, p. 114). L'espèce Oser pouvait s'en prévaloir à plusieurs titres. On pouvait d'abord observer que si le requérant ne s'était pas immédiatement pourvu devant le Tribunal suprême, il s'était du moins adressé à l'auteur de l'acte pour en obtenir le retrait (ce qui avait d'ailleurs provoqué sa non-application), cela, bien entendu, dans le délai régulier : c'est l'hypothèse classique de la prorogation du délai au cas de recours gracieux, qui est depuis plus de trente ans admise par le Conseil d'État, au même titre que s'il y avait recours hiérarchique, pour conserver les délais du recours contentieux (V. Cons. d'État 12 janv. 1917, Marchelli : Rec. Cons. d'État p. 42. – 25 mai 1928, Reynaud : D. P. 1928, 3, 55, avec la note J. Appleton. - Adde les références données par les auteurs, op. cit. et loc cit.). On pouvait ensuite observer que l'exécution de l'arrêté d'expulsion intervenant après une période pendant laquelle l'Administration s'est livrée à une nouvelle instruction de l'affaire (ce qui résultait du dossier) ne s'analyse pas en une décision purement confirmative, mais en une décision nouvelle : c'est l'hypothèse classique de la réouverture du délai au cas de nouvel examen, qui est, depuis plus de vingt ans, admise par le Conseil d'État (V. Cons. d'État 22 fév. 1918, Commune de Sernhac : Rec. Cons. d'État p. 190. – 12 déc. 1945, Godefroy :ibid., p. 254). Ces deux hypothèses permettaient largement de justifier la recevabilité du recours. Comme il n'est pas vraisemblable que le Tribunal suprême ne les ait pas envisagées, on est fondé à conclure qu'il les a écartées volontairement, bien qu'on ne puisse pas en saisir la raison. Serait-ce simplement pour marquer l'indépendance de sa jurisprudence envers celle du recours par excès de pouvoir ? Il faut souhaiter, pour les plaideurs futurs, qu'il s'orientera vers des solutions aussi libérales que celles du Conseil d'État français.III. - La troisième espèce ci-dessus rapportée présente, en dehors de sa portée pratique considérable, un intérêt doctrinal de premier plan. Il s'agissait d'apprécier la constitutionnalité d'une loi interdisant la transformation de tout immeuble à usage d'hôtel en appartements à usage d'habitation ou en locaux à usage commercial ou industriel, même par reconstruction ou agrandissement, étant donné que la Constitution monégasque déclare dans son article 9 (dont le Tribunal suprême assure la garantie) : « La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité. » L'espèce S. B. M., en rejetant la requête, apporte à la doctrine traditionnelle sur le contenu du droit de propriété une contribution valable pour le droit français, en raison de l'inspiration commune, sinon de la forme identique, de l'article 9 précité et de l'article 17 de la Déclaration des droits de 1789. Il précise, par ailleurs, l'étendue des pouvoirs du Tribunal suprême dans l'appréciation de la constitutionnalité des lois.1° Sur le premier point, l'espèce S. B. M. admet que le caractère inviolable de la propriété garanti par la Constitution ne fait pas obstacle aux limitations que le législateur peut apporter « au plein exercice » de ce droit, lorsqu'elles se justifient par l'intérêt public ou les exigences économiques et sociales. La portée pratique de cette jurisprudence est très nette : elle affirme d'une part que la Constitution garantit le principe du droit de propriété, et non ses conditions d'exercice, - elle montre d'autre part que ces limitations d'exercice (ou de « l'usage « du droit, comme il est dit dans le dernier considérant), doivent du moins être justifiées. Le tribunal suprême censure en définitive soit la « violation essentielle « du droit de propriété, soit les atteintes à l'exercice du droit de propriété du type voie de fait ou fait du prince. Cette jurisprudence s'annonçait déjà dans les premières décisions rendues par le Tribunal suprême sur le droit de propriété, notamment dans les espèces Pasquilini et Blèriot, analysées dans la thèse Crovetto précitée, n°s 63 et suivants.2° Le second enseignement à retenir porte sur l'étendue des pouvoirs du Tribunal suprême, qui s'avèrent très larges. En affirmant en effet « qu'il lui appartient... d'apprécier si les atteintes apportées au droit de propriété... sont compatibles avec le principe d'inviolabilité garanti par la Constitution «, le Tribunal suprême se déclare juge de « l'intérêt de l'ordre public ou de la chose publique «, ainsi que de l'exigence « des circonstances économiques ou sociales «, puisque c'est à ces titres qu'il admet les restrictions au plein exercice des droits garantis par la Constitution. N'est-ce pas proprement reconnaître au Tribunal suprême, par-dessus le pouvoir législatif et toutes les autorités de l'État, l'appréciation souveraine de cet intérêt et de cette exigence, et établit ainsi dans la principauté un « gouvernement de juges « comparable à celui que la Cour suprême établit aux États-Unis à la fin du XIXe siècle lorsqu'elle entreprit de réviser à son profit l'autorité suprême que le Congrès tendait à s'accorder ? Il ne semble pas, à la vérité, que le Tribunal suprême de Monaco s'engage dans la même voie. Il a pris soin, en effet, de ne pas se prononcer sur l'opportunité des motifs qui ont déterminé le législateur, s'attachant seulement, dans le dernier considérant de sa décision, à reconnaître le caractère d'intérêt général de ces motifs, et à relever la portée limitée et temporaire des restrictions apportées à l'exercice du droit de propriété. C'est la transposition sur le plan de la constitutionnalité du contrôle du pouvoir de police par le juge de la légalité.IV. - Quelques mots suffiront pour conclure sur la portée de ces décisions. Elles sont surtout intéressantes dans la mesure où elles permettent de confronter ce contentieux d'inconstitutionnalité et le contentieux de l'excès de pouvoir sanctionnant l'illégalité. La portée pratique de ces différences est que le juge de la constitutionnalité possède un pouvoir beaucoup plus étendu, si on le mesure à la nature des actes qu'il soumet à son contrôle. Mais ce pouvoir est beaucoup plus réduit si on l'apprécie à ses manifestations, parce qu'il est limité aux seules dispositions constitutionnelles dont la garantie est exclusivement confiée au Tribunal suprême. Celui-ci n'est pas du tout gardien d'un principe général de constitutionnalité, - ni même de légalité, comme notre Conseil d'État. Et il faut ajouter que, justement conscient de l'importance de ses pouvoirs, en considération sans doute de la qualité des actes et des mesures qui lui sont déférées, ce Tribunal suprême se révèle très prudent sur l'appréciation de sa compétence et des recevabilités du recours. Il paraît ainsi plus porté à décourager les plaideurs qu'à leur faciliter l'accès du prétoire, comme on vient de le voir sur la question des délais. Peut-être pense-t-il qu'il vaut mieux ménager sa force, pour ne pas en compromettre le respect.